25.02.2014

"Ayrault veut "adapter la France au vieillissement" : avec si peu d'argent, c'est mal parti" par Muriel Boulmier

Tribune parue dans l'Obs Plus

Mercredi 12 février, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault a présenté les premiers aspects du projet de loi sur "l'adaptation de la société au vieillissement". Ce "projet innovant", selon lui, compte privilégier le maintien à domicile des personnes dépendantes. Peut-il vraiment faire bouger les choses ?

C’est l’un des grands chantiers du quinquennat. En tout cas, il a été annoncé comme tel. La jeunesse aussi me direz-vous, et pourtant, en deux ans qu’a fait concrètement le gouvernement pour les jeunes ?

Raison de plus, donc, pour se méfier et rester sur nos gardes, nous, acteurs et observateurs des politiques publiques du vieillissement. 

Les premières annonces nous laissent sur notre faim 

Cette fois-ci, plus question de dépendance ou d’autonomie, la sémantique a changé pour préférer aux concepts érodés une réalité : le vieillissement. Un point incontestablement à saluer.

Les responsables politiques abandonnent enfin la simple approche médico-sociale pour une vision plus globale et sociétale. Enfin, sur le papier.

Il est maintenant indispensable que ce changement de paradigme se concrétise dans l’élaboration, la mise en œuvre et le financement de la réforme. Car certes, les belles ambitions font naître l’espoir. Mais encore faut-il ensuite y réponde ; et on fait rarement beaucoup avec peu.

Pour le moment, force est de reconnaître que les premières annonces du Premier ministre nous laissent sur notre faim. 

Un budget trop faible pour un tel chantier 

Sur un plan financier d’abord. L’argent ne fait pas tout, mais il reste le nerf de la guerre. La loi sur l'adaptation de la société au vieillissement disposera de 645 millions d'euros, provenant du produit annuel de la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie sur les revenus, des retraites et des pensions d'invalidité des plus de 60 ans qui acquittent 61 euros d’impôt ou plus (soit 1.143 euros par mois).

On peut légitimement s’interroger sur le montant du budget, sur les moyens mobilisés, et sur la façon dont il sera dépensé.

Le montant de 645 millions d’euros est incontestablement un chiffre faible, mesuré aux enjeux d’une politique publique censée répondre aux attentes de presque 20% de la population française. Les chantiers laissés en jachère depuis des années par les responsables politiques successifs sont nombreux.

Le plus important : le maintien à domicile, par l’aide à l’adaptation des logements, le développement des auxiliaires de vie, la rénovation des établissements spécialisés, les dispositifs de soutien aux familles des malades touchés par la maladie d’Alzheimer…

Un financement peu légitime

Les moyens mobilisés, maintenant. Je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la légitimité d’un financement reposant sur une taxe provenant exclusivement des revenus des retraités : est-ce donc cela, la conception qu’a la gauche de la solidarité nationale ?

Une politique publique entièrement à la charge des bénéficiaires, fut-ce les plus modestes d'entre eux, est-elle une vraie politique publique ?

La politique du vieillissement est une politique sociétale qui concerne chacun d’entre nous, et qui doit reposer sur chacun d’entre nous, d’une façon juste et équitable. Demandera-t-on demain aux jeunes de payer pour les politiques de la jeunesse, aux femmes de financer les mesures mises en œuvre pour favoriser la parité ?

Ce raisonnement est indéfendable, et ne correspond en rien à nos traditions républicaines.

Trop peu de ministères engagés

Venons-en enfin à la façon dont il sera dépensé. Qui le dépensera d’abord ?

L’intitulé même de ce projet de loi sur le vieillissement laissait espérer une prise en charge globale, sociétale, au-delà des simples considérations habituelles médico-sociales. Mais il ne doit pas s’agir d’un simple effet d’affichage.

Comment expliquer, si le gouvernement souhaite construire une approche globale, que seuls les ministères des affaires sociales et des personnes âgées soient pour l’instant sur le pont ?

Quid du ministère du logement, alors qu’il s’agit d’adapter 80.000 habitations pour améliorer enfin le maintien à domicile ? Où est le ministère des Transports ? Que fait Bercy quand le développement de la "Silver économie", domotique et nouvelles technologies en tête, est une pierre angulaire de la politique à mettre en œuvre ?

L’incitation à les utiliser devra être plus significative que le simple redéploiement du crédit d’impôt adaptation qui semblerait lui être réservée. Un crédit d’impôt réservé aux plus modestes aurait été plus efficace, en ciblant les équipements de grande nécessité trop chers pour les plus de 70 ans ayant à peine 900 euros de revenus mensuels.

Vieillir n’est ni un handicap ni une maladie

Une telle mesure répondrait enfin à la nécessité de promouvoir le maintien à domicile, grand défi des dix ans qui viennent. Or, tant qu’une personne âgée devra choisir entre une auxiliaire de vie et une douche adaptée, nous ne sortirons pas de cette impasse qui les conduit inexorablement, un jour, à quitter leur foyer pour des établissements spécialisés trop onéreux pour leur budget et ceux de leur famille.

Vieillir n’est ni un handicap ni une maladie. Ce gouvernement semble l’avoir compris, il faut s’en réjouir.

Mais les espoirs déçus sont les plus cruels. Ce projet de loi a soulevé des attentes. Il faut maintenant être à la hauteur, avec moyens et mesures adéquats. Faire évoluer les regards et les comportements, qui cantonnaient jusqu’à aujourd’hui ceux que l’on appelle communément "les vieux" à la sphère médico-sociale, est complexe.

Et "les vieux" justement doivent avoir la preuve qu’ils peuvent compter non pas que sur eux-mêmes, mais bien sur la société tout entière.

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