05.12.2013

"Vieillissement : un chemin législatif pavé de bonnes orientations" par Muriel Boulmier

Tribune parue dans Le Huffington Post

Le gouvernement annonce - enfin! - qu'il se préoccupe du vieillissement démographique. Voire qu'il ouvre la concertation sur la réforme, dite de la dépendance ou de l'autonomie selon l'humeur. L'absence de débat lors de l'adoption de la réforme des retraites par l'Assemblée n'a pas permis de traiter la question des pensions des femmes, exposées à la pauvreté. Un objectif prioritaire repoussé donc à 2020.

Quant à l'indexation des petites retraites, c'est la résistance des parlementaires qui l'a sauvée. Enfin la CASA, votée pour financer la dépendance comblera en 2013 et 2014 le trou du Fonds de Solidarité Vieillesse, prestation de solidarité qui permet à 600.000 retraités (dont 60% de femmes) de percevoir 787€. Elle ne sera affectée au financement de cette réforme qu'en 2015, c'est dire si le projet de loi en gestation est attendu. Deux mois pour bâtir le projet, puis le confier au CESE pour qu'il soit présenté au Parlement et faire voter la première loi avant l'été, voilà qui représente un véritable parcours de santé!

Affichant le maintien à domicile pour objectif premier, la réforme pose la question de l'adaptation des logements. Entre l'Espagne où les plus de 60 ans se révèlent propriétaires à 90% et la Suède où ils le sont à 45%, la France se situe dans la fourchette haute: 78%. Mais pas davantage qu'ils ne sont riches, les octogénaires ne sont tous en situation de dépendance ni en institution : environ 10% se trouvent dans cette situation. Tandis que seuls 11,4% des plus de 60 ans ont déménagé au cours des cinq dernières années, l'adaptation des logements demeure l'angle mort des politiques publiques liées à l'âge. Force est de constater que dans bon nombre de cas, ce sont les personnes âgées qui s'adaptent au logement, délaissant la chambre à l'étage pour un lit installé au rez-de-chaussée et troquant les installations de la salle de bains pour une toilette dans le lavabo. Il est grand temps que ce soit l'habitat qui s'adapte à l'âge.

Nous payons le prix de la synonymie abusivement entretenue entre retraite, vieillissement, vieillesse et dépendance ; les raccourcis repris par le discours officiel ont permis de penser que l'habitat des personnes âgées allait du domicile à l'institution. Alors qu'aménager le domicile à une vie quotidienne modifiée par le vieillissement fait reculer cette perspective. A condition que l'espace collectif que représentent ces portes d'entrées trop lourdes, ces quelques marches de trop pour l'atteindre, soit lui aussi adapté. Au même titre que l'espace public d'ailleurs, dont on ne citera que trottoirs et rues pavées. Les enjeux de l'adaptation plaident pour une vraie politique. Confort, sécurité, santé, coûts privés, coûts publics. L'adaptation pragmatique, abordable, les barres d'appui, les douches, les lumières évitent les chutes, antichambre de la dépendance accidentelle. Celle qui pose en urgence une question à la réponse incertaine : déménager pour aller où et à quel prix?

Le coût moyen mensuel d'une maison de retraite s'élève à 2200 € quand la retraite moyenne ne dépasse pas 1 256 €. Et 932 € pour les femmes. Ajoutons à cela que le coût public des chutes accidentelles, estimé à 1 milliard d'euros annuel reste sans commune mesure avec le montant des travaux de première adaptation. Lequel avoisine les 4000€ par logement. François Hollande avait annoncé 80000 logements adaptés dans l'habitat existant.

Plusieurs pistes peuvent être étudiées : permettre une cohérence d'attribution des aides existantes ou encore inciter les familles, via le crédit d'impôts (ouvert aux non imposables) à financer ces travaux. Ce qui implique de revisiter ce dispositif fiscal en termes de conditions d'âge et de ressources du bénéficiaire, et de permettre son transfert aux enfants ou neveux qui financent les travaux sans solliciter d'aides publiques. J'ai présenté ces propositions dans mon 2ème rapport de mission ministérielle; de telles mesures permettraient de réduire les délais, seraient économes des deniers publics et permettraient un déploiement efficace de chaque euro public supplémentaire. Dans cet esprit, en février 2013, le Paquet Investissement Social de la Commission européenne incitait les Etats Membres à veiller à ce que chaque euro social investi soit un euro au profit de la croissance.

C'est l'autre enjeu de la transition démographique : à quand un marché de l'âge qui dépasserait les limites de la sphère santé? La France, comme l'Europe, avait inscrite "la silver economy" dans les appels à projets Innovation et soutien aux PME. Le gouvernement Ayrault veut en organiser la filière. Dont acte. Cette ambition à moyen terme ne doit pas masquer les insuffisances d'aujourd'hui, par exemple, la téléassistance insignifiante en France et omniprésente au Royaume Uni et en Suède ou la modification de l'organisation des services à domicile pour optimiser leur efficacité. Les budgets des collectivités ou institutions qui les financent sont eux aussi sous pression et ce seront les bénéficiaires et les familles qui contribueront. D'ailleurs, la dernière hausse de la fiscalité sur les services à la personne constitue un frein conséquent. Les prévisions de développement de ce segment de marché ne sauraient se satisfaire d'une approche quantitative de l'âge, génération boomers ou pas, mais doit prendre en compte les besoins de première nécessité parce que la surconsommation n'est pas le comportement prioritaire des personnes âgées. Elles recherchent, quand elles le peuvent, qualité et bien-être mais ne sont pas sensibles au gadget ou aux technologies trop complexes.

Le parti pris de la réforme se montre séduisant et son ambition forte, puisqu'elle va jusqu'à la réforme extensive de l'APA. Il convient d'attendre les fruits de la concertation, les résultats du chantier dépendance du précédent gouvernement avaient été riches. Cependant, la présentation du cadre législatif entre les deux lois annoncées et les volets développés méritent une explication plus simple. Ce qui d'ailleurs permettrait de répondre à la question légitime : quel budget affecté par action? Les premières mesures, en 2015, autour du maintien à domicile et de l'APA seraient financées par les fameux 645 M€ de la CASA. Cela signifie-t-il que le déficit du Fonds de Solidarité Vieillesse sera alors résorbé ? Et quand bien même la somme serait conséquente, elle paraît bien mince pour assumer la totalité des besoins auxquels le gouvernement s'engage à répondre par cette loi.

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