17.06.2013

Transparence de la vie publique : intervention d'Hervé Morin

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier le Gouvernement de nous avoir conviés aujourd’hui à une bien sympathique partie de cartes, en l’occurrence à une partie de mistigri. Vous rappelez-vous les règles de ce jeu ? Il s’agit de « refiler » à tout prix à son voisin le valet de pique, car qui a cette carte en sa possession à la fin de la partie a perdu.

Eh bien, mes chers collègues, avec l’affaire Cahuzac, c’est exactement ce qu’a fait le Gouvernement. Il s’est retrouvé avec le mistigri du mensonge et de l’évasion fiscale et a tout fait ensuite pour nous le « refiler ».

Vous n’ignorez pas que le mistigri a pour autre nom le pouilleux : eh bien, je vous le dis très nettement, mon impression est qu’aujourd’hui les pouilleux ne sont autres que nous, les députés.

Quelle est en effet la situation ? Un ministre de la République avoue avoir fraudé le fisc en plaçant son argent sur des comptes à l’étranger, un ministre de la République trahit la confiance du chef de l’État, un ministre de la République ment à la représentation nationale, et que croyez-vous qu’il arriva ? Une démission du ministre de tutelle, des excuses du chef du Gouvernement à la représentation nationale ? Pas du tout.

Le Gouvernement a tout fait pour que l’affaire Cahuzac devienne l’affaire des parlementaires. Chapeau monsieur le ministre, vraiment chapeau parce que je dois dire que l’opération a été menée de main de maître : à présent, les coupables c’est nous, les fraudeurs c’est nous, les menteurs c’est encore nous ! Grâce à votre gouvernement, nous sommes tous des Cahuzac !

C’est la première raison pour laquelle le groupe UDI s’abstiendra sur ces deux textes. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Le groupe UDI ne sera pas complice de cette magistrale opération de diversion dont le seul but est de faire oublier les multiples dérives d’un ministre du Gouvernement et la bienveillance, ou du moins la passivité coupable dont il a bénéficié au sein de l’exécutif.

Vous nous dites que ces textes instaurent de la transparence et rétablissent la confiance de l’opinion à l’égard des élus. Nous ne le croyons pas. Ces textes, qui sont beaucoup plus proches de l’étalage que de la transparence, instillent à nouveau le poison du soupçon envers tous les élus, nationaux et locaux.

Comme l’écrivait le fabuliste, « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ».

Non, mes chers collègues, nous ne pouvons pas accepter que les méfaits d’un seul jettent l’opprobre et le discrédit sur l’immense majorité des élus. Rome se résume-t-elle à Néron ?

Au regard des compromissions et des égarements de quelques-uns, combien de sacrifices personnels – oui, je l’affirme haut et fort – et de dévouement de la part de milliers d’autres ?

Vous nous dites que ces textes vont renforcer notre démocratie. Je vais vous dire, moi, ce que ces textes renforcent : non pas la démocratie, mais la démagogie, le populisme, l’égalitarisme malsain.

Mes chers collègues, le ventre de l’antiparlementarisme – je l’affirmais tout à l’heure – ne sera jamais assez nourri : il ne sert donc à rien de répondre par le « toujours plus » quand on nous reprochera de n’en faire jamais assez. Même quand on en fait beaucoup, d’ailleurs, les Français pensent qu’on ne le fait pas, que la place est bonne, le fromage excellent et que les petits arrangements entre amis persistent.

Le groupe UDI s’abstiendra sur ces textes pour une autre raison : ils ne résolvent rien, ou quasiment rien – cela ne concernant pas, je le reconnais, l’ensemble des sujets. Certes, le Gouvernement a reculé et a renoncé à la publication des patrimoines, mais ils sont consultables, ce qui revient au même en raison de l’existence des réseaux sociaux. Au-delà du fait qu’elle alimentera le voyeurisme et l’exhibitionnisme pitoyable, pensez-vous que cette mesure répondra au problème posé ?

Premièrement, ce texte n’aurait jamais empêché M. Cahuzac de faire ce qu’il a fait.

Deuxièmement, comme l’a excellemment rappelé le président Bartolone, « La transparence absolue est un mythe. »

Troisièmement, pourquoi exiger cette transparence des seuls parlementaires et présidents d’exécutifs locaux, et non pas de l’ensemble des candidats à ces fonctions ? Patrick Devedjian a parfaitement raison : en réservant l’obligation de déclaration de patrimoine aux seuls élus, à chaque élection on permettra à ceux qui vont se présenter pour la première fois d’échapper à cette règle et donc d’alimenter la rumeur et la démagogie à l’infini.

Je trouve cela absolument ahurissant. Enfin, quatrièmement, l’important, de toute façon, n’est pas dans l’exhibition du patrimoine des uns et des autres mais dans le contrôle de son évolution. Tel est le sujet.

Y a-t-il eu ou non enrichissement non fondé au cours du mandat ou de l’exercice de fonctions gouvernementales ? Telle est à notre avis la seule question intéressante. Le problème n’est pas la richesse, mais l’enrichissement dont on ne pourrait pas trouver la cause. Ce sont donc les moyens d’investigation de la Haute autorité pour vérifier s’il n’y a pas eu enrichissement personnel entre le début et la fin du mandat qui doivent être renforcés, l’objectif étant d’aboutir à une réelle fiabilité. Il faut donc aussi donner à cette autorité le pouvoir de saisir Tracfin – cette possibilité était annoncée dans l’exposé des motifs du projet de loi –, de contraindre l’administration à lui fournir des informations dans un délai limité, voire d’actionner l’entraide conventionnelle entre les pays, comme le souhaite d’ailleurs la commission des lois.

Le vrai sujet, nous le savons tous, est la détection d’éventuels conflits d’intérêts. La Commission Jospin avait d’ailleurs préconisé de restreindre la publication aux seules déclarations d’intérêt et d’activité, de créer une Autorité de déontologie de la vie publique et de mettre en place un dispositif d’« alerte éthique » au sein de différentes administrations.

Toutes ces propositions nous semblaient effectivement très bien adaptées et certaines sont d’ailleurs reprises dans les textes qui nous sont proposés ; nous sommes toutefois réservés sur le procédé de délation qu’instaure le projet de loi, ainsi que je l’ai indiqué tout à l’heure.

Le débat s’est désormais placé sur l’interdiction ou non de certaines activités, ce qui est légitime. Certaines activités doivent être interdites, comme celle qui consiste à jouer un rôle majeur dans des entreprises ayant intérêt avec l’État ; ayant occupé le poste de ministre de la défense, je tiens d’autant plus à le souligner. Mais je dis aux Robespierre et aux Marat de l’hémicycle qu’interdire toute une série d’activités privées qui auraient déjà été exercées par l’élu avant son mandat – tout le monde n’a pas débuté comme assistant parlementaire – c’est aller encore un peu plus vers une assemblée monocolore d’apparatchiks et de fonctionnaires.

Non, et pour cause en ce qui me concerne !

Mes chers collègues, n’oublions pas que la durée moyenne d’un mandat parlementaire est de sept ans. A chaque renouvellement, es deux tiers des sortants sont battus.

Qu’il y ait des incompatibilités renforcées de règles déontologiques posées pour les activités de conseil – elles existent d’ailleurs pour les avocats – me semble nécessaire. Qu’il y ait des interdictions pour ceux qui créent de telles activités durant leur mandat, j’y suis pour ma part favorable.

J’ajoute que l’UDI a déposé un amendement – il permettrait également de clarifier les choses – qui oblige les fonctionnaires à démissionner à l’issue du premier mandat, comme en Allemagne. Si la politique n’est pas une carrière, cela doit être le cas pour tous les Français.

Le groupe UDI est enfin extrêmement attaché à la question de la sanction, car à ce stade nous ne sommes plus dans le soupçon mais bien dans la réalité d’un délit ou d’un crime portant atteinte à la moralité publique. Il faut que le glaive de la justice soit tranchant quand la confiance du peuple a été trahie. Un homme politique est certes un citoyen comme un autre, mais il a en plus un devoir d’exemplarité et doit donc être sanctionné comme tel : égalité dans la présomption d’innocence, égalité dans l’instruction à charge et à décharge, mais inégalité dans la responsabilité si celle-ci est prouvée.

Nous déposerons donc un amendement allant plus loin que ce que propose le Gouvernement avec des sanctions pénales lourdes pouvant conduire à une inéligibilité à vie. Il s’agit de faire de la peine d’inéligibilité la peine principale ; à charge pour le magistrat de motiver le fait de ne pas la mettre en œuvre. Permettez-moi de vous indiquer qu’un exemple comparable est celui des peines planchers : on nous avait expliqué qu’elles étaient contraires à la Constitution, mais le Conseil constitutionnel en a admis la possibilité dès lors qu’on permettait aux magistrats de ne pas les appliquer à la condition d’en motiver la décision.

Vous souhaitez réhabiliter l’action politique, monsieur le ministre. L’objectif est louable, mais ce n’est pas avec ce texte que nous parviendrons à réconcilier les Français avec la politique. Pour réhabiliter l’action politique, cherchons plutôt du côté du courage et de la capacité à entreprendre les réformes qui sortiront notre pays de la crise et du déclin. Cherchons aussi du côté des multiples errements de notre république monarchique. « Le mal de la grandeur, c’est quand du pouvoir elle sépare la conscience », nous disait Shakespeare. À défaut de conscience, considérons qu’il serait temps de transformer en profondeur cette Ve République qui produit un certain nombre de dérèglements quand tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains d’un homme et créent un esprit de cour malsain.

Le groupe UDI, madame la présidente, s’abstiendra donc sur ce texte, une abstention ni passive ni hésitante, mais une abstention critique. 

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