24.09.2018

"Monsieur le Président, laissez faire les collectivités !"

 

Hervé Morin, Président de Les Centristes, des Régions de France et de la Région Normandie, écrit une lettre ouverte à Emmanuel Macron dans laquelle il lui fait part de sa déception quant au pacte girondin promis par le Président de la République lors de la conférence des territoires au Sénat en juillet 2017. Pacte girondin qui n'a jamais vu le jour et qui s'est transformé en retour en force du jacobinisme.

 

Lettre ouverte que vous pouvez également retrouver dans L'Opinion :

 

Monsieur le Président de la République,

 

J’y avais cru pourtant. Avec beaucoup d’élus locaux, j’étais au Sénat le 17 juillet 2017. Je buvais du petit-lait en écoutant votre discours, ouvrant la conférence des territoires : quinze mois plus tard je constate, comme la quasi-totalité d’entre nous, qu’à la place du pacte girondin c’est un retour en force du jacobinisme auquel nous avons droit aujourd’hui. Oublié l’appel de la modernité de la gouvernance publique dans votre livre Révolution. Oublié votre discours devant les maires de France sur le rôle éminent des territoires, la différenciation et l’expérimentation.

 

Je vous ai proposé pour la Normandie, comme d’ailleurs notre collègue de Nouvelle-Aquitaine, que nous pilotions les politiques de l’emploi au moment où chômage de masse et pénurie de main-d’œuvre imposeraient un nouveau paradigme. La région Grand Est vous a proposé de lui confier la gestion des routes. La Normandie et la région Sud vous ont proposé de leur céder la gestion des grands ports à l’instar de nos voisins hanséatiques dont la réussite n’est plus à prouver. Nous n’avons eu aucun écho…

 

La question n’est pas celle de la préservation de nos « petits pouvoirs » mais celle des conditions de l’amélioration de la situation des Français et du retour de leur confiance. Ce n’est pas un ruissellement mais une cascade de décisions aussi nocives les unes que les autres qui est tombée sur notre pays : privatisation et recentralisation de l’apprentissage malgré les résultats records obtenus par les régions en 2017 – que d’ailleurs vous vous attribuez dans votre discours sur la pauvreté –, mise sous tutelle des collectivités à travers les contrats de limitation des dépenses, remise en cause des contrats de plan Etat-région, transferts de charge sur les départements de 11 milliards, sans parler de la suppression de la taxe d’habitation qui ôte le lien entre l’impôt et les dépenses. Et je ne parle même pas de celle du fonds de soutien en matière de développement économique, contrairement aux dispositions de la loi de finances initiale de 2017.

 

Ces décisions sont d’autant plus incompréhensibles que la France est déjà le pays développé le plus centralisé au monde. Partout ailleurs, fédéralisme ou régionalisation sont la règle avec des organisations et des gouvernances de plus en plus horizontales. Ces systèmes ont déjà prouvé leur efficacité.

 

Monsieur le Président, ne vous méprenez pas sur mon propos. J’ai tout à fait conscience que notre décentralisation n’est pas parfaite, qu’elle reste insuffisamment lisible pour les Français, que la gestion des collectivités doit encore s’améliorer. Je ne connais pas un élu local qui ne se demande pas chaque jour comment faire plus pour ses administrés en dépensant moins.

 

Fonctionnaire de l’Etat, j’ai longtemps pensé que la compétence était au sein de nos administrations. Élu local, j’ai découvert des fonctionnaires engagés dans le développement de leur territoire quand, dans le même temps, les RGPP successives ont vidé de leurs compétences les administrations déconcentrées de l’État, qui ont supporté l’essentiel des suppressions de postes. Et vous voudriez aujourd’hui remettre dans les mains de l’Etat des compétences pour lesquelles il n’a plus les moyens ! Reconnaissez-le, c’est absurde et contraire au cours de l’Histoire. Vous qui apparaissiez comme le président des start-up, de l’horizontalité qu’elles recèlent, du monde collaboratif et coopératif qu’elles portent, vous semblez aujourd’hui l’oublier en recréant un système vertical et concentré.

 

Ce qui a mis le feu aux poudres dans les relations Etat/collectivités et conduit leurs associations représentatives à quitter la table des négociations en juillet dernier, c’est le sentiment d’injustice que nous ressentons. Les collectivités locales vont une nouvelle fois contribuer à un désendettement de la France de près de 50 milliards jusqu’en 2022, alors que l’État se dirige vers une hausse de l’endettement du pays de près 400 milliards.

 

Soyons clairs, j’aime l’État. J’aime l’État quand il assure notre sécurité dont il s’est pourtant défaussé en partie sur les communes. J’aime l’État quand il oriente le crédit vers les entreprises et pas vers la spéculation financière. J’aime l’État quand il organise notre défense et intervient en moins de 24 heures pour sauver Bamako. J’aime l’État quand il révise le droit du travail. J’aime l’État quand il assure les solidarités fondamentales.

 

Mais sur les autres domaines, ceux qui touchent le quotidien de nos entreprises ou de nos compatriotes, je vous dis : « Laissez faire les collectivités ! ». Chacun des défis auxquels notre pays fait face – l’emploi, la mobilité, la transition énergétique, le développement des PME, le logement, l’école pour partie – trouvera sa solution dans l’action de nos territoires. Parce qu’ils sont proches de ceux à qui ils s’adressent. Parce qu’ils sont réactifs : je peux prendre une décision en quelques jours, alors que j’attends toujours le début de la mise en œuvre d’une nouvelle gouvernance au Mont-Saint-Michel dont le principe a été décidé par le Premier ministre en avril 2017 ! Enfin parce qu’ils portent depuis bien longtemps l’idée du consensus politique et que la plupart des politiques sont co-construites et non arbitrées dans un bureau à Bercy. C’est cela le nouveau monde, Monsieur le Président !

 

L’intérêt de nos treize grandes régions est d’être efficace et de répondre aux besoins immenses de nos concitoyens en infrastructures, en services, en solidarités. Non, les collectivités ne sont pas les maîtres d’œuvre des politiques nationales soumises à des administrations centrales exigeant d’infinis reportings. Le Parlement a sa légitimité démocratique. Nous avons la nôtre. Parce que la France est une, mais aussi parce que nos territoires sont différents, laissons s’exprimer leur diversité pour que les politiques leur soient adaptées.

 

Évidemment, nous devons sortir de cette impasse et renouer le dialogue. Monsieur le Président de la République, faites respecter la signature de l’État dans les contrats passés avec nous, augmentez notre autonomie au lieu de la limiter, traitez-nous d’égal à égal et non de seigneur à vassal, construisez avec nous ce pacte qui fera gagner la France. C’est à ces conditions que l’État et les territoires pourront, ensemble, conduire la politique durable de transformation et de redressement du pays attendue par nos compatriotes.

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