19.07.2016

Loi Taxi : intervention de Philippe Vigier

Mes chers collègues,

La proposition de loi que l’Assemblée nationale est aujourd’hui amenée à examiner est sans doute l’illustration la plus parfaite d’une forme d’indigence de l’action publique.

Comment comprendre en effet que nous soyons amenés à légiférer de nouveau sur la question essentielle de la régulation du secteur du transport public particulier de personnes alors même que la loi du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur nous avait été présentée comme un point d’équilibre ambitieux et le cadre d’une concurrence loyale entre taxis et Véhicules de Tourisme avec Chauffeur ?

Comment comprendre que s’agissant de problématiques aussi fondamentales que l’émergence de l’économie du partage et l’affaissement du salariat, vous fassiez le choix d’additionner des mesures de circonstances, imparfaites, bancales, quand une réforme profonde devait être menée pour apporter une réponse ambitieuse à ces bouleversements radicaux ?

La raison en est simple : la loi du 1er octobre 2014 est passée à côté de l’essentiel et je crains que la proposition de loi que vous nous présentez aujourd’hui présente la même faiblesse.

A cet égard, je souhaite en premier lieu souligner que la décision d’engager une concertation menée par notre rapporteur n’a pas été prise dans la sérénité, afin d’anticiper des difficultés nouvelles qui pourraient survenir et définir en amont des solutions consensuelles pour y répondre rapidement.

Au contraire, cette décision faisait suite à des violences et des dégradations inacceptables, survenues lors de manifestations de taxis qui protestaient contre une concurrence jugée déloyale des Véhicules de Tourisme avec Chauffeur.

Ces manifestations démontraient d’ailleurs que les mesures décidées par le gouvernement en 2014 n’avaient pas été comprises et acceptées, voire rejetées, par les acteurs du secteur, alors même que leur adhésion constituait, je le crois, un préalable indispensable à la sortie de crise.

A cette absence de méthode s’ajoute malheureusement une absence d’ambition : en effet, que prévoit cette proposition de loi sinon de nouveaux ajustements marginaux ?

Améliorer le régime déclaratif et l’obligation pour les plateformes, considérées comme des centrales de réservation qui organisent des déplacements, de vérifier que les personnes mises en relation respectent bien les règles d’accès à la profession de Véhicules de Tourisme avec Chauffeur, mettre en place un dispositif de transmission d’informations pour bénéficier de données fiables sur le secteur ou encore interdire les clauses d’exclusivité en permettant aux chauffeurs de travailler avec plusieurs plateformes : nous sommes ici à mille lieux de mesures d’envergure qui permettraient d’apporter une réponse à la hauteur des enjeux.

En outre, notre groupe souhaite émettre deux réserves importantes auxquelles les travaux de commissions n’ont pas permis d’apporter des réponses satisfaisantes.

En premier lieu, nous nous inquiétons de la réforme du statut « Loi d'Orientation des Transports Intérieurs » - dit « LOTI » - dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants.

Cette mesure nous apparaît en effet comme une tentative pernicieuse de mettre à mal les Véhicules de Tourisme de Chauffeur dans les grandes villes.

En second lieu, nous sommes préoccupés par la création d’un examen commun aux taxis et Véhicules de Tourisme de Chauffeur au sein des Chambres de Métiers et de l’Artisanat.

Une nouvelle fois, il nous semble que ces dispositions trahissent la volonté du gouvernement de limiter la dynamique économique du secteur des Véhicules de Tourisme avec Chauffeur, en mettant en place un contrôle renforcé sur la délivrance des autorisations.

Nous nous opposons fermement à cette mesure qui nuira à la création d’emplois en France.

Notre groupe proposera par conséquent que les modalités singulières d’accès à cette profession soient préservées, en étant définies par décret en Conseil d’État, après avis de l’Autorité de la concurrence, et en faisant en sorte qu’elles relèvent de la réussite à un examen proportionné.

Nous défendrons également un amendement visant à supprimer l’obligation pour le conducteur de Véhicule de Tourisme avec Chauffeur de retourner, dès sa prestation effectuée, au lieu d’établissement de l’exploitant du véhicule ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé.

Une telle obligation n’est absolument pas réaliste, fait peser une charge financière disproportionnée sur les exploitants de Véhicules de Tourisme avec Chauffeur, et entre en contradiction avec les objectifs ambitieux de la France en matière d’efficacité énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique.

Notre groupe soutiendra néanmoins la mise en concurrence des centrales de réservation.

Cette disposition nous semble absolument essentielle pour enrayer la tendance oligopolistique des centrales, qui constitue une atteinte grave à la libre concurrence et a pour effet de placer les conductrices et les conducteurs dans des situations de précarité insupportables, dénoncées à juste titre et à maintes reprises par mon collègue Bertrand Pancher.

Enfin, je voudrais souligner que cette proposition de loi n’apporte toujours aucune réponse à la question cruciale du fonds d’indemnisation des licences dont la valeur a diminué par rapport au prix d’acquisition, qui devait être mis en place avant le 1er octobre 2014.

Je souhaiterais que le gouvernement profite de ce débat pour nous présenter les contours de cette indemnisation ainsi que le mode de financement envisagé, car il semble qu’aucune des propositions formulées jusqu’ici ne soit parvenue à mettre d’accord l’ensemble des acteurs du secteur.

Pour ma part, je suis tout à fait opposé à création d’une taxe forfaitaire assise sur chaque réservation faite sur une plate-forme de Véhicule de Tourisme avec Chauffeur ou d’une taxe sur le chiffre d’affaires des taxis et des Véhicules de Tourisme avec Chauffeur.

Nous savons en effet que ce type de taxes pèserait soit sur l’activité de ces professionnels, soit sur les consommatrices et les consommateurs.

Il appartient à l’Etat d’assumer ses responsabilités en définissant un mode d’indemnisation gagé sur une réduction des dépenses publiques.

Face à une révolution économique, la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui ne fait qu’effleurer les véritables enjeux.

Elle oppose la profession des taxis, qu’elle maintient dans une forme d’apathie, à celle des Voitures de Tourisme avec Chauffeurs, dont elle se méfie.

Notre groupe considère au contraire que ces deux professions peuvent cohabiter et qu’elles sont confrontées aux mêmes maux : la paupérisation et le dumping social, maux auxquels il n’est ici apporté aucune réponse.

A cet égard, l’absence de mesures sur les plateformes numériques ne payant aucun impôt en France est édifiante !

Cette proposition de loi traduit également votre peur de l’avenir : elle bride le secteur des Véhicules de Tourisme avec Chauffeur, que vous jugez trop souple, trop agile, trop concurrentiel alors qu’il faut au contraire encourager les taxis à se moderniser, simplifier leurs statuts afin de les rendre plus compétitifs.

Votre proposition de loi ne protège qu’insuffisamment ces nouveaux salariés, qui aspirent à plus d’indépendance et de liberté et dont, au fond, vous ne comprenez pas les motivations.

Le rapport de la mission d’information sur le paritarisme, présidée par mon collègue Arnaud Richard, avait pourtant réalisé un formidable travail dans ce sens et vous auriez pu vous inspirer de ses propositions.

Enfin, cette proposition de loi oublie malheureusement de mettre les consommateurs et les consommatrices au cœur de cette dynamique économique.

Ce sont pourtant eux qui ont rendu cette révolution économique irréversible.

Ce sont avec eux et pour eux que vous devez légiférer car ce sont aussi leurs attentes et leurs comportements qui détermineront la durée de vie de cette loi.

Lutte contre la précarisation, lutte contre le dumping social, modernisation des taxis, statut des salariés de la nouvelle économie, rôle essentiel du consommateur : ce sont autant d’enjeux à côté desquels cette proposition de loi passe et, par conséquent, autant de raisons que notre groupe a de s’abstenir sur cette proposition de loi incomplète.

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