26.04.2020

LA GRANDE INTERVIEW de Philippe Vigier.

#Anticipation  #Déconfinement  #Masques  #Dépistage  #Sérologie  #Vaccin  #Traçage numérique  #Plan de sauvegarde  #Plan de relance   #ARS

 

LA GRANDE INTERVIEW de Philippe Vigier
Biologiste, député d’Eure-et-Loir
Président du groupe parlementaire Libertés et Territoires à l'Assemblée nationale
Élu de Cloyes-les-Trois-Rivières (5 700 habitants)

 

#Anticipation
>> Sans vouloir polémiquer, considérez-vous, comme beaucoup, que le gouvernement a manqué d’anticipation sur cette crise, notamment sur le manque de masques et de tests ? Comment l’expliquez-vous ?

Philippe Vigier : Incontestablement cette crise, d’une violence inouïe, avec cette pandémie virale dûe à un virus quasi inconnu a pris de court les gouvernants, d’autant plus qu’en matière de masques, là où nous avions des stocks encore en 2010, des instructions ministérielles ont supprimé les stocks en grande partie.

Sur les tests, le retard est désormais rattrapé avec une réalisation de 25.000 tests par jour pour la recherche du virus et pour dépister systématiquement dans les EHPADs les résidents et les personnels. C’est une vraie nécessité pour vérifier que celles et ceux qui ont contracté la maladie ont des anticorps protecteurs. On sait qu’on ne pourra pas vacciner avant un an, cela veut dire que nous avons 60 ou 62 millions de Français qui risquent de contracter le virus. Il faudra donc les soigner et dépister massivement si cela s’avère nécessaire.

Sur les masques, nous voyons bien que ce sont les moyens qui guident la stratégie de déconfinement alors que cela devrait être la stratégie qui explique quels sont les moyens dont on doit disposer. L’Académie de Médecine recommande le masque pour tous, avec des masques différenciés pour le personnel soignant surexposé et le grand public, mais il faut retrouver une capacité de fabrication des masques et surtout mettre en place, non pas le système D comme c’est le cas à l’heure actuelle sur la distribution où chacun essaye de faire ce qu’il peut, en particulier les collectivités locales, mais mettre ces mêmes collectivités au cœur de ce sujet, évidemment sans que l’État n’implique des conséquences financières sur leurs épaules.

 

#Déconfinement
>> Sur le déconfinement, le gouvernement semble-t-il aller sur la bonne voie ? Et d’ailleurs, quel serait selon vous le déconfinement idéal ?

Philippe Vigier : Le gouvernement a opté pour une stratégie progressive à partir du 11 mai. Pour moi la stratégie ne sera bonne qu’à la seule condition que ce déconfinement soit territorialisé parce que l’épidémie n’a pas été la même à Mulhouse qu’elle l’est en Corrèze, à Nice, ou encore au fin fond du département du Cantal. Je pense qu’il faut donc voir avec les élus locaux et les Préfets qui sauront dire pour tel ou tel territoire, si nous pouvons faire un déconfinement plus rapide parce qu’il est indispensable que les activités économiques puissent repartir mais avec aussi une forte exigence de protection sanitaire des populations.
Là où il y a peu de promiscuité, peu de risques de contamination, il faut laisser les entreprises, les bars, les restaurants, ou encore le tourisme repartir.

 

#Masques
>> Pensez-vous, comme l’Académie Nationale de Médecine, que les français doivent obligatoirement porter des masques après le 11 mai ?

Philippe Vigier : L’Académie de Médecine est une société savante reconnue, je pense en effet que des masques grand public doivent être accessibles dans le commerce, avec des prix encadrés, avec une sécurité, des normes AFNOR… bref, après le 11 mai, parce que les Français ne seront pas protégés du virus. Je répète qu’environ 60 millions de Français n’auront pas contracté le virus. Nous savons qu’il peut être redoutable dans 15% des cas. Les traitements ne sont pas pour le moment définitivement opérationnels. Il y a cette fameuse étude Discovery qui est en route. Cela veut dire que nous devons être capables de mieux protéger les Français comme l’ont fait d’autres pays dans le monde. Regardez ce qui se passe en Asie.

 

#Dépistage #Sérologie
>> Sur le dépistage, les Français semblent un peu perdus. Où en est le dépistage en France ? Ou en sont les tests sérologiques ? Comment mettre en place une sérologie massive ? Et d’ailleurs qu’est-ce qu’un test sérologique ? Est-il fiable ?

Philippe Vigier : Sur les tests sérologiques, nous avons démarré à 4.000 tests directs par jour. Pour le moment nous avons atteint 25.000. L’objectif est d’arriver à 500.000 par mois à la fin du mois de mai. Cela concerne les examens directs, à destination du personnel soignant qu’il faut tester pour qu’ils ne contaminent pas des patients à l’hôpital, des personnels des EHPADs dont on voit qu’ils paient à l’heure actuelle un lourd tribut au nombre de décès et tous ceux qui dans le monde du travail à un moment ou à un autre peuvent présenter des symptômes. Il faut pouvoir les tester !

Quant à la sérologie, oui il faut mettre en place une sérologie massive. Cela permettra de connaître l’état sérologique et le niveau d’anticorps de la population. Ces tests sérologiques sont fiables, je dis bien fiables. Ce sont les seuls qui permettent de marquer qu’il y a eu contact avec la maladie et fabrication des anticorps. En la matière, nous avons une vraie expérience : celle des animaux et des bovins, qui depuis trente ans contractent des coronavirus et lorsqu’ils ont fait la maladie, ils ne la refont pas. Cela veut dire qu’ils ont des anticorps protecteurs.

 

#Vaccin
>> À quand selon vous un vaccin ?

Philippe Vigier : Et bien le plus vite possible… Les chercheurs travaillent d’arrache-pied, il y a eu un travail formidable qui a déjà été fait pour trouver des solutions avant un an. Ensuite, est-ce que la stratégie du gouvernement sera de vacciner toute la population ? Je leur recommande sauf pour les cas où une contre-indication majeure peut exister.

 

#Traçage numérique
>> Quel est votre avis sur le traçage numérique ? Considérez-vous comme Gilles Babinet dans notre newsletter de Territoires que « L’App Stop Covid ne fait pas de tracking, ni de près ni de loin » ? Allez-vous voter pour ou contre la semaine prochaine à l’Assemblée nationale ?

Philippe Vigier : Oui, je pense que c’est une bonne idée. Moi, je voterai pour car en tant que professionnel de santé je ne peux pas faire en sorte de laisser dans la nature des gens qui, si ils déclarent la maladie avec une forme sévère, peuvent mourir. Nous n’avons pas le droit de faire cela !

Ce qu’il faut en revanche, c’est protéger les données. Il ne faut pas que ce soit Google ou je ne sais quel autre opérateur qui dispose de vos données à partir de votre portable. Il faut aussi que la France, le Ministère de la Santé, le Ministère de l’Intérieur, assurent le portage de ces données-là de manière à ce que cela ne tombe pas dans le droit commun et qu’ensuite elles soient vendues par ces opérateurs dans le monde entier. Oui au tracking, mais oui également aux libertés individuelles.

 

#Plan de sauvegarde
>> Sur le plan de la crise économique, le plan de soutien pour soutenir entreprises et particuliers proposé par le gouvernement à travers le projet de loi de finances rectificative et voté à l’unanimité est-il aujourd’hui à la hauteur de la crise ? Y-a-t-il des mesures que vous auriez souhaité voir adopter ?

Philippe Vigier : Je ne serai pas critique sur ces questions-là puisqu’on voit bien que cela est très compliqué. En deux mois, nous assistons à un effondrement complet de l’économie, 45 milliards puis 110 milliards. Il y a des domaines sur lesquels il y a des grandes inquiétudes : la restauration, l’hôtellerie, le tourismeLà ce n’est pas un plan de soutien mais vraiment un plan de sauvegarde qui est nécessaire. Et surtout leur déconfinement, leur réorganisation, les barrières de protection sociale, la protection des personnels font que cela risque de changer leur activité en profondeur. Nous sommes donc partis pour du très long terme.

Rappelons une nouvelle fois que sans les collectivités et sans les territoires rien ne se fera de façon efficace ! Certes c’est à l’État de donner la stratégie, d’apporter les financements massifs, mais c’est aux territoires et aux collectivités de porter les mesures. Je regrette par exemple que les collectivités ne puissent pas à partir de leur section d’investissement basculer de l’argent en fonctionnement de manière à pouvoir, là où c’est le plus nécessaire, aider tel ou tel type d’activités parce que sinon elles fermeront le rideau avec des centaines de milliers de chômeurs à la clé.

 

#Plan de relance
>> Pour l’après confinement, faut-il mettre en place de nouveaux dispositifs, notamment pour accompagner les entreprises ? Certains parlent de la nécessité d’un plan de relance massif ?

Philippe Vigier : Oui, je suis aussi favorable à un plan de relance massif pour accompagner les entreprises. Il faudra aussi les accompagner avec la reconnaissance de cette maladie professionnelle et en faisant en sorte de permettre que les primes d’assurances de responsabilité civile, si jamais une pandémie occasionne comme c’est le cas depuis deux mois la fermeture de commerces ou d’entreprises, considèrent cela comme une catastrophe naturelle.

On voit bien aussi que pour un certain nombre de secteurs, je pense notamment à la santé, aux médicaments, aux masques et aux respirateurs, il y a eu de l’insourcing. Autrement il faudra accompagner les entreprises pour que nous soyons capables en France et en Europe d’avoir cette autonomie stratégique indispensable. Sur ce point je salue également l’action des collectivités, en particulier les régions et les départements, qui ont su remettre un certain nombre d’entreprises en passe de fournir des masques et des nouveaux matériels dont nous avons tant besoin mais aussi des médicaments où nous sommes quasiment totalement dépendants.

 

#ARS
>> Pour terminer, dans votre rapport de la commission d’enquête sur l’égal accès aux soins et sur l’efficacité des politiques publiques paru en 2018, vous étiez déjà sévère sur les Agences Régionales de Santé en proposant de les remplacer par des directions départementales de santé publique, sous autorité directe du préfet, donc du Ministère de la santé. Vous n’avez surement pas changé d’avis sur cette question face à une ARS très critiquée pour son manque de réactivité lors de cette crise ?

Philippe Vigier : Effectivement j’ai proposé de supprimer les ARS et je ne change pas d’avis. On voit bien qu’il y a une bicéphalité entre le Préfet et l’ARS. Il faut une seule tête et en face la tête des collectivités de manière à ce que l’on soit totalement efficace.

Je vais prendre un exemple : quand l’ARS de mon département demande de faire un dépistage systématique de 4 EHPADs et pas les autres, qui peut comprendre ? Lorsque nous mettons en place des centres d’orientation et de diagnostic pour éviter que des patients suspects d’être Covid + aillent dans les cabinets médicaux et les maisons de santé, l’ARS met 15 jours à venir voir ce que l’on fait et a été au départ un peu réticente avant qu’elle ne donne son accord.

Mes propos ne sont pas contre les hommes et les femmes qui travaillent dans les ARS. On voit bien qu’on a créé un État dans l’État. Ces ARS ont été créées à l’époque sous le gouvernement de François Fillon, je ne l’oublie pas, j’avais déjà été très dubitatif. Mon expertise de professionnel de santé et de député me fait dire que, comme je l’avais préconisé dans la commission d’enquête parlementaire, les ARS devraient être intégrées dans l’ensemble des directions sous la responsabilité des Préfets.

 

Interview Les Centristes - 24 avril 2020

 

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