27.04.2020

Hervé Morin : "En milieu scolaire, la distanciation sociale est impossible."

 

Écoles, cantines, transports, tourisme... Retrouvez l'interview d'Hervé Morin au magazine Le Point sur la sortie du confinement

 

Le président de la région Normandie et des Centristes fustige une sortie de confinement confuse et illisible. Pour lui, l'ouverture des écoles le lundi 11 mai se heurte à des difficultés matérielles et des risques sanitaires que le pouvoir parisien trop centralisé n'a pas vu venir.

 

Les cars scolaires, l'exiguïté de la plupart des locaux, l'incertitude de l'ouverture des cantines scolaires, la nécessité de faire cours à des demi-classes empêcheront un retour à la normale avant longtemps. Quant à l'activité touristique, elle vit une incertitude de plus en plus préjudiciable.
 

Propos recueillis par Jérôme Béglé @JeromeBegle, directeur adjoint de le rédaction du magazine Le Point.

 

Le Point : Comment abordez-vous la décision du président de la République de rouvrir les écoles le lundi 11 mai ?

Hervé Morin : Elle crée beaucoup de confusion, voire de défiance compte tenu des conditions de la mise en œuvre de la décision. L'avis négatif du Conseil scientifique sur le retour à l'école n'aide pas. Jules Ferry avait rendu l'école publique, laïque et obligatoire… Elle devient facultative.

 

Le chef de l'État annonce le retour à l'école le lundi 11 mai sur le motif qu'il faut remettre à l'école les enfants qui, depuis deux mois, font l'école à la maison grâce aux espaces numériques de travail développés par les collectivités pour que nous apprenions 48 heures plus tard que le retour de ces derniers sera à la discrétion des familles. On peut au moins avoir un doute sur le fait que ce sont les enfants les plus déscolarisés qui reviendraient à l'école dès le lundi 11 mai…

 

La crise exige des décisions claires. Dire qu'il faudra retourner à l'école le 11 mai puis indiquer le lendemain que c'est facultatif ramène au premier discours du président qui indiquait que nous étions en guerre à sept reprises sans oser prononcer le mot confinement ! Tout cela illustre les limites sinon l'illusion du « en même temps ».

 

Que pensez-vous des déclarations du ministre de l'Éducation, Jean-Michel Blanquer, qui propose d'abord le primaire avec une priorité sur les CP et les CM2, puis progressivement les collèges et les lycées ?

Son approche est beaucoup trop générale et centralisée : ayant une fille en CP et un garçon en CM2, je mesure à quel point ces deux années sont stratégiques dans la vie scolaire des enfants, mais il y a une vraie erreur de méthode qui donne une réponse incomprise et partiellement adaptée.
 

Il est d'abord curieux d'annoncer une stratégie sans consulter les collectivités locales qui financent et gèrent en grande partie les établissements scolaires et leur environnement : les garderies périscolaires, la cantine, le fonctionnement des internats et le transport scolaire. Décidément, ce gouvernement a toujours du mal avec l'organisation des pouvoirs liés à la loi de décentralisation et la prise en compte des réalités locales !

 

La seconde erreur est celle de fixer un schéma national alors qu'il faudrait au contraire un dialogue entre les autorités académiques, les collectivités locales, les chefs d'établissement et les enseignants au cas par cas.

 

En clair, des maires en Normandie me disent qu'ils sont en capacité de rescolariser, quand d'autres me disent ne pas le pouvoir car les salles de classe sont très contraintes ou parce que la sensibilité du moment des familles ne s'y prête pas.

 

Il aurait fallu au contraire fixer un objectif : rescolariser et, en fonction des règles sanitaires, bâtir, sans schéma précontraint, des solutions au cas par cas.

 

Transports, cantine, salles de classe, comment éviter que les écoles ne deviennent un nouveau foyer de contamination ?

Sur les transports scolaires : on voit bien que la distanciation sociale est très compliquée. Il est impossible pour des raisons financières, de capacité de transports et de manque de chauffeurs de doubler ou tripler le nombre de bus. La scolarisation doit être sur des groupes d'enfants restreints au minimum à la journée, sinon alternativement sur des demi-semaines.

 

En effet, la scolarisation par demi-journée est impossible en milieu rural ou semi-rural compte tenu de cette contrainte et j'ajoute qu'elle me semble bien compliquée en milieu urbain si les parents travaillent. On les imagine mal déposer leurs enfants à 8 h 45 et les récupérer avant midi !

S'agissant des cantines, j'entends dix fois par jour des Français me dire ne pas comprendre pourquoi on interdit l'ouverture des restaurants quand dans le même temps on rouvre les restaurants scolaires. Si on imagine un système dans lequel on espace d'au moins un mètre chaque jeune, il sera impossible, dans bien des endroits, de faire déjeuner même sur des temps plus longs la totalité des publics scolarisés. Faudra-t-il instaurer, contrairement au principe de non-discrimination dans la restauration scolaire, des jeunes prioritaires pour déjeuner à la cantine ?

 

Et pour les salles de classe ?

Il suffit d'emmener ses enfants pour constater que dans nombre d'écoles, notamment dans les centres-villes, leur espace est extrêmement restreint. Je vous laisse imaginer la construction d'un modèle où 8 ou 10 classes, même par demi-groupe, ne doivent jamais se croiser quand ils doivent emprunter le même escalier !

 

J'ajoute enfin que l'on ne prend pas en compte la scolarisation dans l'enseignement privé qui n'a jamais pu mener les mêmes programmes d'investissements immobiliers, et où l'espace est encore plus restreint.

Pour l'internat, j'ai été interne, j'ai le souvenir des chambrées ! Cela me suffit pour imaginer la simplicité de la scolarisation de jeunes qui sont d'ailleurs parfois issus de zones dont la pandémie n'a pas frappé de la même façon.

 

Il me semble que face à la souffrance des enfants déscolarisés, il eut été plus simple de trouver une solution adaptée. Je finis toutefois par me dire qu'il eut été plus simple, maintenant que le retour à l'école est devenu facultatif, de faire une croix sur cette fin d'année.

 

Comment éviter que les enfants ne deviennent les agents contaminants de leurs propres familles ?

J'attends le guide des bonnes pratiques du ministère de l'Éducation, mais nous avons déjà eu l'occasion d'alerter le Premier ministre, sur ce point et, de fait, sur la sempiternelle question des masques. Le ministre de la Santé a d'ores et déjà indiqué qu'il ne serait pas obligatoire en élémentaire, mais qu'il faudrait « insister sur les gestes barrières, sur le lavage des mains, sur le fait de tousser dans notre coude ».

 

Je n'imagine pas ma fille de 6 ans appliquer cette règle rigoureusement sur la totalité d'une journée scolaire !

 

J'ajoute que le nombre de masques pour la totalité des collégiens et des lycéens représente des volumes de plusieurs dizaines de millions par semaine, si on fait appel aux masques jetables. L'industrie française est incapable de fournir, en volume suffisant, des masques tissus et il en faudrait au moins 4 par élèves (compte tenu des règles d'utilisation et des impératifs de nettoyage).

 

Nous avons posé la question sur l'état des commandes et des livraisons, nous attendons toujours la réponse.

Enfin, le coût des masques ne peut être porté que par l'État. Pour la Normandie, je l'estime à au moins 60 millions d'euros ! On crée un facteur de plus de relance de la contamination alors que la priorité absolue est d'abord la relance de l'activité économique.

 

Mais, alors, comment permettre aux parents qui ont besoin de la scolarisation des enfants de reprendre le travail ?

Beaucoup de Français vont continuer à télétravailler. Les collectivités pourraient aussi être sollicitées pour assurer l'accueil des enfants des parents qui en ont absolument besoin. Elles pourraient y remédier en ouvrant des centres périscolaires et des écoles, comme nous avons su le faire pour les enfants des parents, notamment ceux de la santé, dont la présence au travail était absolument indispensable durant le pic de la crise. Là encore, l'État doit apprendre à ne pas travailler tout seul.

 

Les régions gèrent les lycées, concrètement, qu'avez-vous prévu pour le 11 mai ? Masques, prises de température à l'entrée et à la sortie, tests… ?

J'attends toujours le guide des bonnes pratiques que j'analyserai à partir des recommandations de l'Académie de médecine et du conseil scientifique.

 

Très clairement, je ne mettrai en danger ni les 4 000 fonctionnaires de la Région travaillant dans les lycées, ni les familles normandes, ni les enseignants si j'estime que nous ne sommes pas en situation de leur assurer la sécurité. Et j'effectuerai cette analyse établissement par établissement.

 

Le Premier ministre annoncera mardi les détails du plan de déconfinement, qu'en espérez-vous ? Faut-il différencier le Grand Est, l'Île-de-France et le reste du pays ?

J'avais revendiqué l'idée d'une régionalisation du déconfinement en fonction de l'état de la pandémie qui est très différent d'une région à l'autre. L'exécutif nous a expliqué qu'il y était opposé tout en étant favorable à des adaptations territoriales… Comprendra qui voudra.

 

Cependant, nous sommes tous convaincus qu'on ne peut pas traiter de la même manière une brasserie à Granville ou un restaurant à Montauban, dans des départements où la circulation du virus est très faible, et une brasserie en Seine-Saint-Denis, où le virus a été beaucoup plus présent.

 

Quel est l'état sanitaire de la Normandie ? Estimez-vous que votre région a été épargnée par le coronavirus ?

Nous avons été fort heureusement moins touchés que d'autres régions et l'épidémie y est aujourd'hui en recul sensible. Le nombre de personnes en réanimation a été réduit de quasiment deux tiers. Nous devons cette amélioration aussi au professionnalisme et au dévouement du personnel de santé.

 

J'ai eu des contacts avec nombre d'entre eux et je mesure pleinement leur rôle admirable dans la gestion de cette crise sanitaire. Je continue en revanche à être inquiet sur l'évolution de l'épidémie dans les Ehpad puisque je constate que quelques maisons de retraite sont très durement frappées.

 

La saison d'été approche. Espérez-vous encore sauver la saison touristique en Normandie ?

Le secteur du tourisme vit clairement l'apocalypse. Il faut favoriser autant que possible sa réouverture en imposant des règles dans l'esprit de celles proposées par l'UMIH. D'autant que les Français passeront leurs vacances en France cet été.

 

Les préfets ont organisé des réunions de travail avec les maires sur la question de la réouverture des plages et, très franchement, aucune solution ne parait aujourd'hui évidente. Je crains, comme toute la France, un réel désastre, même si la Normandie c'est aussi un patrimoine historique et des paysages de campagne absolument exceptionnels.

 

Source LE POINT - Publié le 27/04/2020

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