16.01.2013

Débat sur l’engagement des forces armées françaises au Mali : Intervention d'Hervé Morin

Monsieur le Président

Monsieur le Premier Ministre,

Mes chers collègues

Notre pays s’est engagé vendredi dernier dans une importante opération militaire au Mali. 

Permettez d’abord à l’ancien ministre de la Défense d’avoir une pensée particulière pour les hommes et les femmes qui ont rejoint le théâtre d’opérations malien ou qui s’apprêtent à le faire. Je connais comme vous leur professionnalisme et leur enthousiasme pour servir la France. L’un d’eux, le Lieutenant Boiteux, ne reviendra pas de cette mission et nous saluons aussi sa mémoire comme l’a fait hier le Premier ministre. Le sens du devoir, l’esprit d’équipe, l’abnégation jusqu’au sacrifice, le lieutenant Boiteux l’a incarné jusqu’au dernier souffle.

Le Président de la République a donc décidé de répondre à l’appel au secours des autorités maliennes en engageant nos troupes sur le continent africain. Et il a eu raison. Nous approuvons sans réserve sa décision. 

Cette guerre n’est pas une guerre de choix c’est une guerre de nécessité et je veux m’en expliquer.

Nous répondons à l’appel des autorités maliennes mais nous répondons aussi et même surtout à l’appel du peuple malien qui est victime, depuis de longs mois, du terrorisme djihadiste. Nous ne pouvions pas laisser Bamako devenir un faubourg de Kaboul. C’est vrai des soldats français risqueront leur vie pour Bamako mais notre devoir était d’être à côté des maliens et de leur venir en aide. Si certains ont encore un doute sur la légitimité de notre intervention, je les invite à lire le recensement du haut-commissariat aux réfugiés des Nations Unies qui dénombre déjà 250.000 personnes déplacées et déjà 145.000 réfugiés. 

Mais ne nous trompons pas. Cette intervention ne ressemble pas aux opérations auxquelles nous étions habitués en Afrique. Elle est géographiquement africaine mais elle est géopolitiquement moyen-orientale. 

Il ne s’agit pas comme au temps de la Françafrique de protéger un régime – même si celui-ci est issu d’un putsch et n’a aucune légitimité sinon celle de remplacer un capitaine … aujourd’hui, chef d’Etat-major. 

Il ne s’agit pas non plus d’une opération de stabilisation ou de maintien de la paix face à des rebelles ou à une ethnie plus ou moins armés par les voisins dans une perspective de déstabilisation. 

Il s’agit d’une opération contre des forces djihadistes souvent financées par le narcotrafic, construisant leurs opérations avec la même dialectique et les mêmes méthodes que celles qui interviennent en Afghanistan, en Syrie - pour partie - ou en Lybie hier.

Il y avait d’autant plus urgence à intervenir que j’ai le sentiment que nous nous sommes hâtés un peu trop lentement. Je rappelle qu’une opération militaire est envisagée depuis avril 2011 ; j’ai en souvenir les déclarations du ministre de la défense en août 2012. J’ai surtout en souvenir le discours du Président de la République le 25 septembre à la tribune des Nations Unies où il évoque un soutien aérien et logistique à une initiative africaine. 

Cette déclaration aurait dû être un puissant accélérateur permettant une action de prévention rapide et évitant une intervention lourde en haut du spectre militaire. Or, la France n’a pas présenté de plan précis aux Nations Unies pour construire l’initiative. Rien de concret non plus pendant tout ce temps au sein de la CEDEAO. Rien non plus chez les européens qui pour le seul plan de formation confié par l’ONU rechignent et mégottent à fournir quelques dizaines d’hommes. 

Nous avons perdu un temps précieux en espérant un hypothétique dialogue politique alors que nous savions depuis des mois que les djihadistes ne s’arrêteraient pas dans leur marche et que les négociations avec les touaregs n’aboutiraient pas. C’est maintenant de l’histoire ancienne mais je crois qu’il était bon de le rappeler pour en tirer des leçons pour le futur.

D’autres enseignements pour l’avenir me semblent évidents.

Le premier enseignement c’est que les USA ne veulent plus être systématiquement les gendarmes du monde. Ils étaient en première ligne en Somalie il y a 20 ans. Ils nous laissent en première ligne au Mali même s’ils ont comme à chaque fois apporté un soutien militaire discret mais ô combien précieux.

Le deuxième enseignement, c’est que malheureusement l’ambition politique et diplomatique de l’Europe n’existe toujours pas et l’Europe de la défense encore moins. 

Madame Ashton absente, j’allais dire comme toujours ; l’Allemagne rechignant à intervenir en dehors du cadre de l’OTAN et plus encore en Afrique, j’allais dire comme toujours. Et les autres ? Quelques soutiens, mais aucun élan européen pour aborder une crise qui pourtant concerne au premier chef l’ensemble de notre continent. J’allais dire comme toujours. A quoi bon continuer à construire des forces européennes diverses et variées et de les annoncer à grand renfort de communication pour in fine ne jamais s’en servir. Les battle-group ou les GT1500 seraient parfaitement adaptés pour des interventions de ce genre. Faut-il qu’il y ait de la volonté, et faut-il aussi qu’on ait enfin des moyens de planification européens.

Le troisième enseignement : l’Afrique change, bouge, progresse, son économie s’éveille mais elle n’existe pas encore quand il s’agit de s’organiser pour gérer une crise aigue.

En résumé, les Etats-Unis ne sont plus l’hyperpuissance régentant les cinq continents, l’Europe est de façon consternante toujours impuissante et l’Afrique n’est pas encore assez présente.

Comme toujours ce type d’opérations éclaire les questions qui se posent à notre défense. 

-     Par exemple, le caractère stratégique de nos forces prépositionnées, un atout formidable pour réagir rapidement. J’ai encore le souvenir de la crise tchadienne où nous avons  en 2008 assuré la sécurité des ressortissants de 60 pays, américains compris.

-     2e point ; dans un budget de la défense dont on sait qu’il manquera 30 à 40 milliards d’euros pour atteindre en 2020 le format des armées tel qu’il a été défini par le livre blanc de 2008, on serait bien inspiré au moment des arbitrages de considérer que l’aéromobilité et le conventionnel sont au moins aussi importants que le nucléaire. 

Je reviens à ce que doivent être nos priorités immédiates.

La première priorité, sortir de cette impression d’isolement. Certes nous sommes soutenus par tout le monde, il y a une belle unanimité au sein du conseil de sécurité, mais nous sommes seuls sur le terrain. On nous approuve, on nous soutient mais on a aussi un peu le sentiment qu’on nous dit « débrouillez-vous ». Or, cette crise nous concerne tous. Bien sûr au premier chef les Africains, en second lieu les européens, et enfin la communauté internationale qui doit lutter contre l’islamisme radical, facteur de déstabilisation dans cet arc de crise qui va de l’océan indien à l’océan atlantique. J’invite d’ailleurs le gouvernement à appeler un chat, un chat. Ce ne sont pas seulement des terroristes ou des rebelles, ce sont pour l’essentiel des islamistes fanatiques. Et vous ne ferez de peine à aucun français musulman en le disant.

Dès lors, tout l’effort de la diplomatie française doit être dans la constitution d’une force africaine soutenue en termes de formation, de logistique, de renseignement, de moyens aériens par les puissances militaires de premier rang dont évidemment la France. 

Les troupes africaines rejoindront dans quelques jours le théâtre d’opérations malien. C’est une bonne chose, militairement et aussi politiquement. L’Union africaine et la CEDEAO doivent assumer leurs responsabilités dans le temps, car cette opération va durer c’est une certitude. Nous devons être en soutien à une opération africaine et non l’inverse. Du coup, et même si ce n’est pas politiquement correct, l’une des questions qui se posent est la crédibilité des forces militaires africaines qui seront engagées. J’ai encore en souvenir l’échec de la MINUAD au Darfour. Disons-le tout net, deux pays seulement dans la région sont en capacité de fournir des forces crédibles – le Nigeria et le Sénégal – leur engagement est donc capital pour donner du contenu et du poids à la force africaine en constitution. 

L’intervention française aujourd’hui doit dès lors être vue comme l’occasion du lancement d’une dynamique africaine, pour engager une vraie politique régionale de lutte contre le terrorisme et l’islamisme radical de la Somalie jusqu’à à l’océan atlantique.

Le deuxième sujet pour les prochaines semaines, c’est comment redresser un Etat failli, en l’occurrence le Mali, car si les intégristes sont intervenus là ce n’est pas par hasard. C’est parce que dans l’ouest-africain, le Mali apparaissait comme le maillon faible ou comme le ventre mou. L’instabilité politique, la quasi-vacance de l’Etat et l’absence de solutions à la question touareg ont favorisé depuis des années l’instauration d’un islamisme radical. 

Ne nous faisons pas d’illusions, quelle que soit la combativité et le fanatisme des forces djihadistes, nous réussirons à les chasser, mais elles reviendront aussi vite qu’elles sont arrivées si ne s’engage pas la reconstruction politique et institutionnelle du Mali. Mais on sait aussi, et on a payé pour cela en Afghanistan, que reconstruire un Etat ce n’est pas une mince affaire, que cela impose un spectre large d’actions de la communauté internationale mais aussi beaucoup de doigté et de vigilance pour ne pas apparaitre comme une puissance tutélaire, colonisatrice, rapidement insupportable, les joies des premières semaines de libération ayant été oubliées.

Dernier sujet que je voudrais évoquer rapidement et qui est pour nous tous une vraie question. Ce sont les risques d’une telle intervention pour les français et la communauté nationale. A travers cette question, c’est la résilience de la société française dans l’hypothèse où nos compatriotes ou nos intérêts, surtout à l’étranger, seraient frappés par les réseaux terroristes. Nous sommes en première ligne, militairement et politiquement. Naturellement, les cellules terroristes liées ou non à Al-Qaïda chercheront à déstabiliser l’engagement de la France en menaçant l’opinion publique. Et pire encore en frappant lâchement nos compatriotes. Dans un pays recroquevillé sur lui-même, qui n’a plus confiance en lui, on peut en effet douter de sa résilience. C’est pourquoi il nous appartient, majorité comme opposition, d’expliquer aux françaises et aux français que la déstabilisation de l’Afrique de l’ouest les concerne et concerne leur sécurité.

En conclusion, Monsieur le Premier Ministre, mes chers collègues, pour résumer la position de l’UDI en une phrase, oui la France devait intervenir, non nous n’avons pas vocation à être en première ligne au-delà de quelques semaines, au pire quelques mois.

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