17.12.2010

Convention "Quelle Justice pour demain ?" : Discours de clôture d'Hervé Morin

Je suis très heureux d'avoir assisté à tous ces débats et je remercie celles et ceux qui ont accepté d’y participer. Permettez-moi de remercier une nouvelle fois Jean Marie CAVADA et Philippe VIGIER pour leur implication dans ces conventions dont je rappelle le principe. Ces conventions ne sont pas chargées de fixer définitivement notre projet mais d'engager un débat à partir de lignes directrices, qui feront ensuite le tour des fédérations du Nouveau Centre. L’ensemble des conclusions de ces débats  sous la forme d'un projet politique global à l'automne 2011.

La justice est un thème particulièrement vaste. Voilà pourquoi je ne pourrai pas aborder tous les sujets de manière exhaustive. J'aimerais tout d'abord partager un constat avec vous : les choses ont beaucoup évolué depuis quelques années. Beaucoup de choses ont été faites et beaucoup de réformes ont été introduites mais on parle toujours des mêmes sujets. J'ai porté la parole de François BAYROU durant la campagne présidentielle de 2007 sur ces sujets. J'ai dû participer à peu près à tous les débats organisés par le Barreau de Paris, par les Syndicats de Magistrats ou par telle ou telle association.

Comme je le disais en introduction, vous me pardonnerez de ne pouvoir traiter toutes les dimensions du sujets dans mon propos. Je n'évoquerai pas le droit économique ni les alternatives à l'incarcération, la médiation pénale, la médiation judiciaire ou encore l'application des peines. Pour moi qui suis un publiciste et qui ai enseigné le droit public à l’université, je ne l’évoquerai pas non plus. Je veux en revanche dégager les quelques grands principes qui pourraient servir de socle à notre réflexion sur la justice.

Je voudrais commencer par une formule d’un homme politique qui s’exprimait sur le sujet en mai 2006 en disant : « Une grande démocratie ne doit pas avoir peur de l'indépendance de sa justice ». Voilà ce que déclarait le Président de la République, alors candidat à l'élection présidentielle, pour conclure la convention de l'UMP sur la justice. Je vous le dis, je me sens totalement en accord avec cette déclaration. Moi aussi, je considère qu'une grande démocratie ne doit pas avoir peur de sa justice et qu'en effet, selon la façon dont on traite la justice, on donne un sens à la conception que l'on a de l'Etat et de la démocratie.

1. Garantir l’indépendance de la Justice

La première chose que je voudrais vous dire est que pour nous, Centristes, que nous soyons à gauche du Centre ou à droite du Centre, du Modem au Nouveau Centre, nous sommes les seuls à assumer une idée simple à laquelle nous croyons, qui est directement dans notre filiation philosophique et intellectuelle :  nous assumons l'idée que la justice est un pouvoir et que celui-ci doit être indépendant. Pour nous, une démocratie est une démocratie équilibrée lorsqu’elle est constituée d'un pouvoir exécutif, d’un pouvoir législatif mais aussi d’un pouvoir judiciaire. C’est pourquoi je souhaite que nous portions, dans la grande tradition de la famille centriste, l'idée que la magistrature et la justice en France doivent être indépendantes et qu’elles doivent être à l'abri et à l'écart de tout soupçon. Cela doit à mon sens reposer sur trois piliers.

Le premier pilier est celui d’un Garde des Sceaux qui soit le garant du bon fonctionnement de la justice et de son indépendance. Pour cela, je continue à défendre l'idée d'un Garde des Sceaux proposé par le Président de la République, membre du Gouvernement, mais qui serait validé par le Parlement, à une majorité des 2/3. C’est en quelque sorte un Garde des Sceaux qui est plus qu'un Procureur-Général de la nation, qui doit avoir la confiance de la majorité et de l'opposition et qui serait chargé, par la représentation nationale et par l'expression de la souveraineté nationale que représente le Parlement, du bon fonctionnement de la justice et de son indépendance. Il resterait néanmoins membre du Gouvernement parce qu’il serait chargé de défendre le budget de la Justice et de participer à l'organisation de cette délibération politique que représente le Conseil des Ministres ; mais tout en étant membre du Gouvernement, il serait chargé au nom de la nation d'assurer l'indépendance de la justice et les conditions de sa nomination l'amèneraient à pouvoir prendre cette hauteur.

J'ajoute que dans ce cadre et au-delà de la présentation de son budget, il devrait être amené chaque année à faire un grand discours devant le Parlement sur l'état de la justice en France et qu’il devrait y présenter la politique pénale générale. En effet, il appartient au pouvoir politique, dans le cadre des lois et règlements de la République, de fixer les grandes lignes de la politique pénale générale.

Le deuxième pilier de cette indépendance est la nomination des magistrats du Parquet.

En ce domaine, notre système comporte à l’évidence des défauts et si nous ne faisons rien la Cour Européenne des Droits de l'Homme finira par nous imposer les changements nécessaires, Aussi je le dis clairement : il faut que les membres du Parquet soient nommés après un avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature, comme le sont les magistrats du Siège.

Enfin, cette indépendance doit également être préservée ou protégée par une troisième disposition qui me semble capitale. Il s’agit d'interdire à tout responsable politique ou tout pouvoir de commenter ou de critiquer les décisions de justice.

Les Britanniques appliquent déjà ce principe et je souhaite que les Français le fassent soit simplement, soit s'il cela est nécessaire en considérant que toute infraction à ce principe pourrait faire l'objet d'une sanction.

Ma conviction est qu’il est profondément malsain de remettre en cause les décisions de justice. Notre système fonctionne globalement bien. Le système judiciaire produit des centaines de milliers de décisions de justice, avec des moyens financiers très modestes. Il y a bien entendu des erreurs qui sont lourdes ; il y a des manquements qui font scandale. Nous les connaissons, nous en avons souvent entendu parler mais on oublie que l'immense majorité des décisions prises par le système judiciaire sont des décisions qui sont bien prises.

Je souhaite que nous n'attisions pas les mauvais sentiments, que nous n'attisions pas la rumeur, que nous n’attisions pas le soupçon. Ce n’est pas en montrant du doigt une profession qui n'est pas beaucoup mieux vue que le monde politique que l'on améliorera les choses.

Pour cela, je considère que nous devons nous fixer un principe simple : il faut cesser de condamner et de commenter les décisions de justice. Il faut laisser éventuellement au système judiciaire, grâce aux voies d'appel et de cassation, corriger les erreurs judiciaires qui finissent immanquablement par arriver un jour ou l'autre car c'est un système avant tout humain. Ce n'est pas parce que c'est un système humain, et donc faillible, que pour autant l’on doit remettre en cause, par des commentaires des plus hautes autorités politiques, ce système qui est fragile et que l’on doit protéger en tant que tel car si on ne le protège pas, c’est l’autorité de la loi qui s’en trouve fragilisée.

Une autre idée que je voudrais développer, même si elle n'est pas du même niveau que les trois piliers précédents, est que je pense que les magistrats, lorsqu’ils sont en fonction, comme les politiques, doivent être à l'abri d'un certain nombre de tentations à commencer par celle d’être décoré par le pouvoir politique. Car selon moi,  l'indépendance de la Justice c’est aussi dans la tête et dans les comportements. Maître LE BORGNE me le disait tout à l'heure : « C'est aussi éventuellement l'idée que l’on pourrait avoir dans sa carrière tel ou tel avantage ou que sa carrière pourrait aller plus ou moins vite, en fonction d'amitiés et de services rendus ».

Je pense qu'il y a au moins une chose sur laquelle tout le monde pourrait être d'accord, c'est de considérer qu'un magistrat comme un parlementaire ne saurait obtenir une décoration, que ce soit la rouge ou la bleue, le temps qu’il est en exercice. Cela ne demande de grand effort et apporte une clarification tellement nécessaire.

Voilà donc le premier principe que nous pourrions nous fixer, pour notre formation politique et dans le cadre de notre projet. C'est l'idée que nous défendrons l’indépendance de la justice et que nous mettrons les moyens juridiques pour faire en sorte que cette indépendance soit effectivement garantie.

2. Défendre l’accès au droit des citoyens

Tout d'abord, je souhaiterais aborder la question de l'accès au droit. Comme le Président UFC Que Choisir lors de la deuxième table ronde, je suis favorable aux actions de groupe. Je pense que nous avons besoin de ce moyen de recours comme une possibilité pour les citoyens de se défendre et de pouvoir obtenir gain de cause et réparation d'un préjudice. Lorsque vous êtes seul face à un géant industriel ou face à des oligopoles, il vous est très difficile d'obtenir gain de cause. Je suis intimement convaincu que nous permettre à nos concitoyens d'accéder à l'action collective. Il restera ensuite à clarifier la question des dispositifs techniques d’une telle mesure. Je n’entrerai pas dans ces détails pour ne pas être trop long mais je suis convaincu que l'action de groupe est un moyen de prévention.

Prenons le cas du Médiator et de l'industrie pharmaceutique. Dans cette question, il y a au moins trois sujets :

- Comment les médicaments sont-ils mis sur le marché ?

- Comment évite-t-on les conflits d'intérêt d'experts qui ne sont certes pas rémunérés lorsqu’ils analysent telle ou telle molécule mais qui sont rémunérés par l'entreprise pour huit ou dix travaux différents ou supplémentaires. Il y a certes la question de l'évaluation mais il y a derrière cela une autre question.

- Comment faire en sorte que l'industrie pharmaceutique elle-même fasse preuve de plus de prudence et de plus de précautions ? Elle saura alors qu’elle est sous la menace ou sous le risque d'une action collective.

Je suis intimement convaincu que dans le cadre d'une politique de précaution ou de prévention, l'action de groupe est un moyen d’éviter par la suite un certain nombre de dérives.

J’aimerais maintenant m’arrêter sur la question de l'aide juridictionnelle. Il y a à mon sens, tout un panel de mesures à prendre en la matière. On ne peut pas se limiter simplement à dire qu’il faut augmenter l'aide juridictionnelle car on sait très bien que l'on ne doublera pas l’aide juridictionnelle dans les années qui viennent, avec ses 300 M€, compte tenu de la situation des comptes publics.

On peut aussi penser, au-delà des améliorations ponctuelles sur ce sujet, lorsque la croissance sera revenue et que l'équilibre des comptes sera assuré, à l’idée d’un internat des avocats, comme il y a aujourd’hui un internat de Médecine. Nous pouvons estimer que les jeunes avocats, pendant leurs premières années, pourraient ainsi acquérir des compléments de formation à travers cet internat et participer à l'aide juridictionnelle. On peut aussi penser, notamment pour les classes moyennes, à la création d'une déductibilité fiscale sur les frais d'avocats mais en même temps, reconnaissons-le, si nous le faisons, nous introduisons une niche fiscale supplémentaire que nous dénonçons à longueur de journée. Nous pourrions enfin estimer, comme aux Etats-Unis, que les grands cabinets d'avocats doivent un certain nombre de dizaines ou de centaines d'heures d'aide juridictionnelle, comme le font les pays Anglo-Saxons. Ce pourrait être une autre piste.

Bref, il faut multiplier les moyens pour faire en sorte que nos compatriotes, notamment les plus modestes, puissent accéder au droit.

3. Réformer la garde à vue

Cela m’amène à la question de la garde à vue, qui est une question d'actualité puisqu'elle est en ce moment examinée par l’Assemblée nationale.

Ma position est extrêmement claire ; elle n'a jamais changé. J'estime qu'un citoyen doit bénéficier d'un avocat dès la première minute de sa garde à vue. Il s'agit d'un droit fondamental pour faire en sorte que sa défense soit assurée. J'ajoute qu’au-delà de la présence de l'avocat dès la la première minute de la garde à vue, on doit faire en sorte que la garde à vue soit assurée dans des conditions de dignité humaine qui sont loin d’être toujours remplies aujourd'hui dans nos commissariats et nos gendarmeries.

On ne peut pas accepter un seul instant que des pratiques d'un autre temps amènent l’un des nôtres à être en garde à vue sans avoir le droit d'aller aux toilettes, sans pouvoir boire ou sans pouvoir se nourrir. Cela veut dire très clairement que des instructions doivent être données pour que les conditions de la garde à vue ne remettent pas en cause les éléments fondamentaux de la dignité humaine.

J'ajoute que bien entendu, dès lors que l'on a fixé ce principe de la présence d’un avocat dès la première minute, il ne faut pas y ajouter immédiatement un certain nombre de dérogations. Je ne trouverais pas acceptable qu'introduisant cela dans le Code de procédure pénale demain à l'Assemblée nationale, on imagine un nouveau dispositif-type, l’audition libre, qui deviendrait le moyen de détourner la garde à vue. Si l’on décide de créer un système comme l’audition libre ou si l’on maintient la convocation, on doit aussi considérer qu'une convocation est également un moment où l'on peut être accompagné de son avocat, si on le souhaite.

4. L’instruction

Après la garde à vue, je souhaite maintenant aborder le rôle du Parquet et de l'instruction. J'ai beaucoup aimé les propos de Maître Pierre Olivier SUR à ce sujet, qui m'ont ouvert une perspective que je n'avais pas. Je ne l'écarte donc pas complètement car on voit bien dans son dispositif qu’il y a une nouvelle articulation entre le Parquet et le juge d'instruction mais je continue à défendre l’idée que nous avons besoin en France d'un juge de l'instruction et que ce juge de l'instruction doit être l'arbitre des procédures pénales.

En clair, vous avez un parquet en charge de l'accusation, vous avez un citoyen défendu par son avocat et entre les deux, vous avez un arbitre en charge des grands moments de la procédure pénale et qui assure une procédure, une enquête et une instruction qui soient réellement protectrices des droits fondamentaux, car la situation actuelle n'est pas saine.

On a beau créer des pôles d'instruction, on a beau sortir le juge de son isolement, la situation d'un juge d'instruction seul, qui serait à charge et à décharge, est une schizophrénie qui fait qu'au bout d'un certain temps, pour les besoin de l'enquête, on finit par prendre parti, même si l’on veille à préserver les droits de l'autre. A travers cela, on sort de l'équilibre. Pour retrouver l’équilibre, je souhaite que nous ayons un juge de l'instruction qui soit celui qui prenne les grandes décisions aux moments clés de la procédure et qui soit en même temps en capacité de pouvoir relancer telle ou telle enquête, telle ou telle procédure, dès lors qu'il estime que la procédure traîne ou qu’il est important que l'on puisse la réengager sur une autre voie. Je souhaite qu'il soit en quelque sorte un Juge-arbitre, qui fusionne éventuellement ce rôle d'arbitre et de juge des libertés et de la détention.

5. Réduire les délais de traitement

Quant on aborde le sujet de la justice, on doit aussi traiter de la question des délais qui sont un sujet majeur et que nous avons pourtant peu évoqué cet après-midi. Selon moi, c’est une obligation pour la France de pouvoir juger dans un délai que l'on appelle raisonnable.

C’est pourquoi je voudrais que nous abordions la question des délais par l'idée d'un nouveau droit opposable dont bénéficieraient les citoyens, qui serait celui d'obtenir une décision dans un délai décent, comme il y a aujourd'hui un droit opposable au logement. C’est le seul moyen pour que l’on se préoccupe réellement de ce sujet.

Lorsque j’enseignais le droit administratif à la fac, j'évoquais avec mes étudiants un recours pour excès de pouvoir sur un acte administratif qui intervenait et qui permettait l'annulation de cet acte cinq, six ou sept ans après. Très franchement, quel est le sens d'un recours en annulation qui obtient gain de cause devant le Conseil d'Etat cinq ans après le lancement de la procédure ? De même, quel est le sens d'une sanction, pour un délinquant mais aussi pour la victime, lorsqu’elle intervient trois ou quatre ans après que les faits aient été commis ?

Il me semble donc absolument indispensable que nous traitions cette question en mettant en quelque sorte la jugulaire, c’est-à-dire en obligeant le système judiciaire. Cela nous impose deux choses. La première est de traiter le stock considérable. Pierre FAUCHON m'a proposé une idée que je trouve intéressante, qui existe déjà mais qu’il faudrait amplifier. Il s’agit d’instaurer des magistrats qui exerceraient en brigade volante en quelque sorte, et qui iraient de tribunaux en tribunaux et de Cours d'appel en Cours d'appel pour traiter ces stocks et faire en sorte de remettre les compteurs à zéro et de pouvoir ainsi repartir d’une situation épurée.

La deuxième chose qu'il nous faut et qui est absolument indispensable si l’on veut aborder la question des délais avec sérieux est un système juridique moins complexe et surtout moins instable. Plusieurs intervenants l'ont évoqué à la tribune cet après-midi.

Lors de la campagne présidentielle de  2007, j'évoquais le fait que nous avions connu 21 réformes du Code de procédure pénale en 23 ans. J'imagine que quatre ans plus tard, nous devons être à 25 réformes du Code de Procédure Pénale en 27 ans...

Nous devons traiter ce mal français qu’est l'instabilité juridique avec encore plus de vigueur et de rigueur lorsqu’il s'agit du Code de procédure pénale et que l'on ait par ailleurs en permanence en tête qu’à chaque fois que l’on introduit tel ou tel élément de procédure, on allonge les délais. C’est pourquoi il faut avoir des procédures qui aient en permanence pour objectif de ne pas allonger les délais de jugement.

6. Les jurés populaires en tribunal correctionnel

J’en viens au Tribunal Correctionnel, ce qui me permet d'aborder un autre sujet d'actualité. L'introduction de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels serait-elle un moyen d'accroître la sévérité des tribunaux et de punir plus sévèrement les délinquants ? C'est ainsi que le Président de la République a évoqué l'introduction de jurés populaires dans les Tribunaux correctionnels. Je n'y crois pas un seul instant car l'analyse des Cours d'assises et l'analyse de l'expérience des magistrats ayant présidé des Cours d'assises sont rigoureusement différentes de celle-ci. Lorsque nos compatriotes sont en situation de juger, ils pèsent et mesurent le poids de leurs responsabilités. Nous avons à faire à des concitoyens qui jugent avec mesure et équilibre.

En revanche, je ne voudrais pas oublier que les traitements des affaires entre la Cour d'assises et les Tribunaux correctionnels sont radicalement différents. Lorsqu’on est en Cour d'assises, on est appelé non plus à aborder les questions de Droit mais à traiter premièrement du quantum de la peine et deuxièmement de la culpabilité. Lorsqu’il s'agit de procédure devant les Tribunaux correctionnels, ce n'est pas la même question. On aborde des questions de droit éminemment complexes, avec une technicité considérable. Mon inquiétude est que ces questions techniques et juridiques soient traitées par des non-professionnels et cela m'amène à être extrêmement réservé.

Quand on n'est pas juriste et fin spécialiste des subtilités du droit, comment est-on en situation de pouvoir juger d'une peine liée à une problématique de droit fiscal, par exemple ? Puisque le droit fiscal peut vous amener à vous retrouver en correctionnelle et à être emprisonné. Je crois de mémoire que la peine peut aller jusqu'à cinq ans de prison pour un certain nombre de délits fiscaux.

Par conséquent, je voudrais que l'on prenne en compte le fait que la procédure en correctionnelle et les sujets des tribunaux correctionnels sont sensiblement différents et sensiblement plus complexes que ce que nous avons à traiter aux assises.

La seconde chose que je voudrais dire est que si l’on décide de mettre partout ces jurés populaires, ce que je crois impossible, une autre question se posera, qui est celle de l'indépendance. Maître LE BORGNE évoquait, avec l’ironie qui était la sienne, la vie des magistrats et le magistrat qui se renferme sur lui-même pour éviter toute suspicion sur les liens qui pourraient être les siens avec les responsables politiques locaux, avec les notables, avec tel ou tel homme ou femme d'influence du ressort du tribunal dans lequel il exerce. Permettez-moi de vous dire que cette question permanente chez nos compatriotes le sera d'autant plus lorsqu’il se retrouvera dans un Tribunal correctionnel, face à un citoyen qui éventuellement le connaîtra ou dont il connaîtra tel ou tel membre de la famille, au moment où il sera jugé.

Lorsque l’on sera dans un département de 200 000 habitants en zone rurale, vous aurez une fois sur deux quelqu'un qui dira : « Celui qui est à la table du tribunal, je me demande s’il n'a pas comme cousin ou comme oncle telle ou telle personne que je connais ou qui connaît telle ou telle personne ». On aura là un risque de suspicion supplémentaire, qui est loin d'être négligeable et que je voulais soulever.

Enfin, dernière chose, s'il s'agit en revanche de faire en sorte que nos compatriotes apprécient encore un peu plus la difficulté du métier de magistrat et la difficulté de l'exercice du métier de la justice, je veux bien qu’on aborde cette mesure ainsi et qu’on l’aborde avec précaution ; mais on voit bien que l’on est très loin de l'objectif affiché, qui serait que dès lors que l'on mettra le peuple au sein des tribunaux correctionnels, on aura des peines plus sévères permettant de lutter plus rigoureusement contre la délinquance. Je crois que ceci n'est pas vrai mais qu'en revanche, on puisse l'aborder comme un moyen d’apprécier ce en quoi la justice est quelque chose de précieux, quelque chose de difficile, quelque chose qui doit être apprécié avec mesure. Quoiqu’il en soit, il faut à mon sens l'aborder sous un angle rigoureusement différent de l'angle qui est souvent présenté aujourd'hui.

7. La question pénitentiaire

Dans la suite de mon raisonnement, après la question du jugement, j’en viens à la question des prisons. C'est un sujet que je connais bien car j'ai beaucoup travaillé sur la question pénitentiaire. A l’instar du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, et pour répondre à une question posée lors du débat, je voudrais dire que ce n'est pas parce qu’une partie de nos compatriotes connaissent en effet des conditions de logement indécentes que l’on doit se satisfaire du fait que la situation soit mauvaise dans les prisons. Ce n'est pas en tirant les choses vers le bas qu'on les améliore.

Je suis du même avis que lui lorsqu’il dit qu’à travers cette question, on aborde la question de la sécurité. Nous sommes schizophrènes sur cette question. Tous les autres pays européens ont compris depuis longtemps que c’est en offrant des conditions de détention qui permettent la lutte contre la récidive et la réinsertion que l'on va lutter contre la délinquance. Si vous faites de la prison un simple lieu de sanction, ces détenus reviendront dans la société lorsqu’ils auront purgé leur peine, puisqu'un jour ou l'autre, on sort de prison.

On peut aborder ce point sous ce seul angle mais pour moi, il y en a un autre qui est philosophique : je pense que l’homme est amendable, qu'il peut s'améliorer et qu'il peut faire l'objet de rédemption. Je le crois profondément. Mais au-delà, si l’on veut aborder la question de façon plus cynique ou plus efficace, améliorer les conditions de détention est aussi une façon de lutter contre l'insécurité. Lorsque vous avez 60 000 détenus par an en stock, cela veut dire qu'en flux, avec les courtes peines et la détention provisoire, vous avez entre 100 000 et 150 000 personnes qui passent chaque année dans nos prisons. Nous avons tout intérêt à faire en sorte que ces hommes et ces femmes, qui passent un certain temps en prison à un moment de leur vie, pour un acte qui mérite une sanction, ne soient pas en situation de récidive le jour où ils sortiront de prison.

Je souhaite que l’on aborder la politique pénitentiaire avec une idée simple : la prison est un lieu de sanction mais elle doit aussi être un lieu de lutte contre la récidive. Ceci veut dire très clairement qu'il faut mettre en place les moyens qui permettent à chaque détenu de pouvoir se former, de pouvoir travailler, de pouvoir s'éduquer, de pouvoir apprendre à lire et à écrire et de pouvoir retrouver un certain nombre de comportements qui sont les comportements de la vie sociale quotidienne : se lever, sortir…, alors qu’aujourd'hui, lorsque vous visitez les prisons, vous avez une situation absolument ahurissante. Cela dépend des maisons d'arrêt et des centres de détention mais on ferme les portes des cellules entre 18 et 19 heures, on regarde la télévision jusqu'à 4 heures du matin et la vie recommence à 14 ou à 15 heures. Globalement, un certain nombre de détenus n'ont aucun cadre. Si l’on veut vraiment lutter contre la récidive, on doit commencer par redonner un cadre de vie qui est le cadre normal de tout un chacun, c’est-à-dire se lever le matin, prendre son petit-déjeuner, déjeuner, dîner, avoir des pratiques sportives, culturelles, s'éduquer, apprendre à lire et à écrire. C'est le B.a-BA de ce que devrait être la vie dans le monde carcéral.

Cela veut dire aussi que nous devons avoir des services socioéducatifs nettement plus importants qu’ils ne le sont aujourd'hui. Nous avons des effectifs indigents compte tenu de notre population carcérale et si nous voulons partir de l'idée, deuxième principe, que l'on doit éviter autant que possible les libérations sèches mais que l’on doit avoir au contraire un système de tuilage progressif entre l'emprisonnement et la libération, il faut des services pénitentiaires et des services sociaux suffisamment dotés pour leur permettre de remplir cette mission.

Troisième sujet sur le monde pénitentiaire : je mène actuellement un travail important sur les questions d'exclusion et je constate que la question pénitentiaire s’en rapproche fortement, à savoir que la psychiatrie en France est en naufrage. On vit ce naufrage avec la grande précarité et les SDF. Il n'y a aucun moyen psychiatrique disponible pour lutter contre la précarité et l'exclusion, alors que 20 à 30 % de ceux qui sont aujourd'hui dans cette situation souffrent de troubles psychiatriques. Les proportions sont à peu près équivalentes en prison et là aussi, nous devons considérer qu'il y a un vrai chantier pour notre pays qui dépasse largement le seul monde carcéral et qui concerne la totalité de la société française.

8. Diversifier et organiser le recrutement des magistrats

Mes chers amis,

J’aimerais terminer sur un sujet totalement horizontal cette fois. C’est celui du recrutement de nos magistrats. Je crois comme Maître LE BORGNE qu’il faut ouvrir et aérer ce métier. Je pense par exemple à l'idée selon laquelle on ne peut pas être juge d'instruction à la sortie de l'école mais que les magistrats « cabossés » et ayant une expérience de la vie doivent plutôt être en situation de pouvoir exercer des fonctions extrêmement graves puisque de cela dépend la liberté d'un homme ou d'une femme. En effet, j'ai souvent entendu réfléchir à une séparation du grade et de l'emploi. Selon moi, il faut faire en sorte d’avoir des personnes en responsabilités qui soient dans les fonctions comme celles de juge d'instruction mais je pense plus profondément que, comme la plupart des démocraties occidentales, nous devons avoir une magistrature qui doit s’enrichir et porter en elle des cursus et des parcours professionnels différents de la seule Ecole Nationale de la Magistrature, même s’il existe déjà aujourd'hui un certain nombre de passerelles.

Mesdames et Messieurs,

En conclusion, je voudrais simplement vous dire que je souscris totalement à cette phrase du Procureur Général NADAL, qui disait : « On ne rend pas service à l'Etat de droit, à la force de la loi et simplement à la République quand on les dénigre ou lorsqu’on les transforme en boucs émissaires ». Il parlait des magistrats.

Je crois profondément que le pouvoir politique doit être particulièrement attentif à sa justice et qu'il ne doit pas inspirer la défiance à l'égard des magistrats. C’est facile et cela ne règle rien mais surtout, plus globalement et plus généralement, cela affaiblit profondément le contrat social.

J'ai confiance dans la justice de mon pays, j'ai confiance dans les magistrats qui font un métier extrêmement difficile et je voudrais que nos compatriotes participent à ce sentiment de confiance à travers les propositions que nous voulons porter pour les prochaines échéances électorales.

Je vous remercie.

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