14.06.2014

Conseil national de l'UDI juin 2014 : discours d'Hervé Morin

 

Mes chers amis,

Pour rédiger mon discours, je cherchais dans notre histoire, récente et moins récente si nous avions déjà été confrontés à une situation semblable : un abîme de morosité et de pessimisme dans une société qui a perdu ses repères et sa confiance et enfin la tentation de la régression nationale.

1992-1993 par exemple, la fin des années Mitterrand, la déliquescence du parti socialiste dans les affaires Pelat/Tapie, le gang des Safranes, des ministres qui ne pouvaient plus sortir de leurs ministères pour aller en province de peur de se faire chahuter, une économie atone. Beaucoup de similitudes donc mais avec une différence de taille. L’opposition était en état de marche. Le RPR et l’UDF étaient là pour assurer l’alternance.

Alors remontons un peu plus loin dans notre histoire politique : 1958. Oui une vraie crise de régime, l’hallali d’une IVème République à l’agonie. L’impuissance de l’Etat et des institutions bancales emportées par la décolonisation. Comme aujourd’hui aussi des finances en mauvais état. Mais là aussi il y avait une différence de taille avec ce que nous vivons aujourd’hui. On avait la croissance, et une croissance à 5% : On avait le plein emploi ! On avait les trente glorieuses ! On construisait l’Europe autour des idées centristes ! On avait des projets plein les cartons qui ont été souvent à tort attribués à la Vème.

Non, vous voyez notre référence pour cette tension démocratique, économique et morale autant que sociale, je dirais c’est plutôt 1934, les affaires avec Stavisky et consorts, les ligues d’extrême-droite qui défilent la canne-épée à la main, la montée des nationalismes, le chômage, la démocratie aux abonnés absents, et la République qui vacille.

On se dit toujours : mais ça ne peut pas arriver. La Vème République est trop solide. Les gens ne laisseront pas faire. Ils réagiront. Je pense qu’à cette époque beaucoup se disaient cela aussi. Et puis un jour de 1940 c’est le vote des pleins pouvoirs à Pétain par une majorité de députés républicains. Et puis un autre jour c’est le putsch des généraux. Et puis un autre jour le Général doit se rendre à Baden pour s’assurer de la confiance des armées. Et on voit alors qu’une démocratie peut vaciller, que la nature humaine peut préférer l’autorité à la liberté, d’autant que beaucoup de nos compatriotes rêvent aujourd’hui de foutre le système par terre.

Oui il est là le sujet et nous devons réagir. Faut-il une 6e République ? Un jour pas si lointain, il faudra se poser la question. Que faire d’un pouvoir qui est une illusion d’efficacité et une réalité de médiocrité ? Ces préfets, ces recteurs, ces directeurs d’administrations centrales, le doigt sur la couture du pantalon mais dont toutes les décisions ne font qu’un clapotis pour nos compatriotes sur l’océan de la mondialisation. Un système incapable de se réformer qui compense en produisant de la norme. Que faire de ce système quasi monarchique qui dégénère, corrode, corrompt notre démocratie ? Que faire de cette élection présidentielle qui rend complètement dingo la classe politique française ? Que faire d’un mode de scrutin qui à l’Assemblée nationale donne à deux partis qui font 35 à 40% des voix la quasi-totalité des sièges ?

Quelques-uns ici, j’en suis sûr, vous allez me dire «  tu as raison Hervé mais l’essentiel c’est le chômage, la dette, les salaires, ce ne sont pas les institutions ? ». Et bien vous voyez, ce n’est pas mon avis. Moi je crois qu’il y a un lien très fort entre la déréliction de nos institutions et notamment cette folie de l’élection présidentielle et notre incapacité à reformer et à remettre notre pays dans la bonne direction. Regardez l’Allemagne, il y a bien un lien entre la tempérance et l’équilibre de son système parlementaire et ses résultats économiques ? Oui, même si c’est compliqué car je sais l’attachement des gens à l’élection présidentielle, il faut dire aux Français que la restauration de l’économie, notre capacité à gérer la transition de notre pays vers le monde nouveau, la prise en main des 4 -5 grands sujets majeurs de ce début de siècle passe par une révolution institutionnelle : une VIème République combinant régime parlementaire et fait majoritaire comme le prévoyait la Vème République avant l’attentat du Petit-Clamart et la révision de 1962. Sans changement démocratique profond, on n’arrivera à rien je vous le dis.

Aujourd’hui l’élection présidentielle est devenue non plus le grand rendez-vous démocratique de notre pays mais le grand rendez-vous démagogique.  Un immense jeu de farces et attrapes pour quelques gogos qui y croient encore. Et je mets un petit coup de 75% de taxation, une petite dose de fonctionnaires avec 60.000 enseignants, un petit zeste d’écologie avec la fermeture de Fessenheim et voilà le programme, un programme sans cohérence, suintant la démagogie par tous ses pores. Un programme dont évidemment pas une seule des promesses ne se réalisera. Et pendant ce temps, on accuse Marine Le Pen d’avoir un projet qui ne tient pas la route. C’est vrai mais commençons-nous par balayer devant notre porte !

Voilà la réalité de la Démocratie française.

Et voilà pourquoi cette gravité aujourd’hui. Ne soyons pas ceux qui savaient et qui n’ont rien fait. Ne soyons pas ceux qui pouvaient et qui n’ont rien fait. Le PS est en lambeaux, l’UMP est en charpie, mais nous centristes nous sommes debout, vivants, résolus et porteur d’espoir. Oui heureusement il reste l’UDI pour dire non au Front National, oui à la démocratie et oui aux Etats Unis d’Europe – ce qui doit nous mobiliser, c’est de devenir une alternative aux autres partis qui n’écoutent plus, ne voient plus, ne gouvernent plus. C’est aux yeux des Français une force alternative crédible.

Notre formation politique est toute jeune. Et pourtant elle est là, seule au milieu d’un champ de ruine, seul parti démocratique rescapé de ce grand naufrage des européennes.

Et, mes chers amis, cette situation nous impose plus que jamais un devoir de responsabilité.

Notre première responsabilité c’est de renforcer notre parti. Qu’est-ce que ça veut dire renforcer notre parti ? C’est tout simple, cela veut dire respecter les 3 lettres de notre mouvement, U D I, Union   Démocrates    Indépendants.

Oui, nous avons grandi si vite qu’il est bon de se rappeler ce que veulent dire ces trois lettres.

L’Union d’abord. Beaucoup en doutait – vos savez les fameuses grenouilles qui n’arrivent pas à rester dans la brouette – et pourtant nous l’avons réussie. Cinq partis politiques fondateurs aujourd’hui beaucoup plus unis qu’on ne le dit car ils savent que leur avenir propre est intimement lié à la construction de l’UDI, et des adhérents de plus en plus nombreux, des jeunes beaucoup, qui veulent d’abord un grand parti du centre capable d’incarner une alternative. Tout cela nous le devons à Jean-Louis qui savait arranger les bidons avec un talent sans égal.

Cet esprit unitaire, je vais vous dire, c’est notre bien le plus précieux, il est plus précieux que tous les statuts et toutes les déclarations. Alors surtout gardons-le et renforçons-le.

D comme démocrates. Et appliquons déjà ce mot à nous-mêmes avant d’accuser les autres. Vous déciderez bientôt qui succèdera à Jean-Louis Borloo à la présidence de l’UDI. L’élection du mois d’octobre sera capitale dans le contexte de déliquescence démocratique que je vous ai décrit. L’UDI doit être exemplaire dans son fonctionnement interne. Respect des statuts. Respect de notre charte. Campagne interne propre. Election la plus transparente possible de notre président ou de notre présidente. Et surtout, évidemment, rassemblement immédiat derrière lui ou elle sitôt son élection.  Mes chers amis, octobre sera un moment de vérité dont vous devez être les garants ; si nous ne respectons pas nos règles, je vous le dis, c’est toute notre union qui sera menacée car dès lors plus personne ne sera engagée sur rien. Tout redeviendra comme du temps d’avant l’UDI et, en moins de 6 mois, je vous le garantis ce sera l’OPA assurée, de l’UMP ou du Modem ou des deux à la fois sur notre formation. Et puis je vais vous dire, si nous ne sommes pas capables de gérer parfaitement ce moment démocratique interne, comment pouvons-nous espérer pouvoir gérer ensemble des questions beaucoup plus lourdes qui se poseront à nous en 2015/2016 comme la satanée élection présidentielle, ou celle des conditions de notre alliance ?

I comme Indépendants justement. Certains aussi y voyaient une faiblesse. C’est au contraire notre force. Dans un monde complexe, les pensées convenues échouent alors que les esprits libres et indépendants réussissent. Les organisations caporalistes, les partis casernes, ce n’est pas fait pour nous !

Indépendants, ça veut dire aussi quelque chose de très simple. Nous ne sommes pas dyslexiques. UDI ne veut pas dire UMP pas plus aujourd’hui que demain. Je dis cela parce que j’ai entendu le chant des sirènes d’Alain Juppé ou Jean-Pierre Raffarin. Voyons-nous, parlons nous, faisons enfin le grand parti de droite et du centre. C’est 2002 le retour. Ils nous refont le coup « des carottes et des petits pois ». Et bien « même pas en rêve Alain » comme dit ma fille aînée ! Vous les avez vus vous les centristes à l’UMP ? Regardez leurs présidents depuis 2002 : Juppé, Sarko, Devedjian, Bertrand, Copé, et demain re Juppé ou re Sarko. Ils sont où les centristes ?! Regardez les successeurs possibles : Fillon RPR, Pécresse RPR, Bertrand RPR, Wauquiez RPR, Baroin RPR, Le Maire RPR, NKM RPR… je m’arrête.

Et ne vous trompez pas, l’UMP n’est pas en train d’exploser et n’explosera pas.

Elle n’explosera pas, pas plus que le PS n’a explosé dans ses pires moments, car les uns et les autres savent que sous la Vème république, le système leur garantit l’accaparement du pouvoir national et local. Ce à quoi vous assistez est juste un phénomène de décomposition-recomposition classique d’un parti dominant au lendemain d’un échec politique. Les Français ont assisté exactement au même phénomène 5 ans plus tôt à gauche. Et puis vous connaissez cette phrase de Tocqueville : « en politique, la communauté des haines fait presque toujours le fond des amitiés ».

Alors, le grand parti du droite et du centre je vais vous dire ce que c’est pour moi dans l’avenir : c’est très simple, c’est l’UMP d’un côté et l’UDI de l’autre. Oui, chacun chez soi et les vaches seront bien gardées, dit-on chez moi en Normandie. Ce qu’il nous faut, c’est un grand parti de droite fort et un grand parti du centre fort et non pas un parti obèse, tellement sans architecture qu’il devient difforme, pas un parti Albatros que ses ailes de géant empêchent de marcher. Et notre but sera clair, je vous le dis : 1. Peser suffisamment dans la majorité de 2017 pour forcer l’UMP à signer un contrat de gouvernement avant l’élection 2. Réussir à leur passer devant aux législatives de 2022. L’UDI comme l’UDF ne se fera pas en un jour mais dans plusieurs années rien n’est impossible, j’en suis sûr.

Et j’oubliais, indépendants veut dire aussi indépendants du Modem. Nous avons fait un cartel électoral. Très bien. Maintenant que fait-on ? Y-a-t-il un chemin entre d’un côté la petite aventure extra conjugale d’une nuit et de l’autre le mariage en grandes pompes dans les salons du château de Pau ? A vrai dire je ne sais pas. Il y a une ligne de crête à rechercher. Il faut en débattre tous ensemble, démocratiquement. Non pas passer par pertes et profits ce que nous avons construit ensemble, notamment pour les Européennes, mais continuer à dialoguer, à débattre ensemble des grands sujets pour partager des solutions communes. Ni plus ni moins pour le moment, et nous verrons bien après ces forums communs, ces séminaires communs si nous en sommes au moment de l’emballage final. Avec le Modem nous n’avons pas besoin d’un énième organigramme. Je vous propose simplement qu’on réfléchisse, travaille ensemble sur les grands sujets qui traversent la société française.

Unis, démocrates, et indépendants ! Ce doit être notre feuille de route pour l’UDI. C’est aussi notre responsabilité : préserver l’unité de notre famille politique dans le respect de nos différences, être en première ligne des démocrates contre l’extrémisme et pour la défense de nos libertés, porter l’idée de responsabilité et de liberté d’entreprendre, défendre l’indépendance de parole et de pensée de chacun des adhérents de l’UDI et de l’UDI tout entier. Le défi effraie si l’on est seul. Il motive quand on sait que toute une équipe et des milliers de militants sont à vos côtés pour le relever.

Y aura-t-il un centriste aux présidentielles ? Ma conviction est qu’il faut tout faire pour en avoir un. Mais tout faire ne veut pas dire faire n’importe quoi. Je suis sûr de deux choses concernant cette candidature centriste. La première c’est que si la présidence de l’UDI devient une affaire personnelle autour de la présidentielle, l’UDI sera morte. La présidence de l’UDI ne se résume pas l’élection présidentielle. Ce n’est pas la même étape. Il ne faut pas confondre mettre un parti en capacité de présenter un candidat pour la présidentielle, ce qui est le job du futur président de l’UDI, et ensuite décider collectivement d’une candidature et des moyens de sa sélection. Ce sont deux étapes distinctes, différentes. La seconde chose que je sais, c’est que le poids du Front National nous imposera de regarder les choses avec lucidité en posant 3 questions. A-t-on un candidat crédible ? Risque-t-on de faire éliminer notre camp du 2nd tour ? Quelle capacité a-t-on de peser dans le cadre des primaires afin qu’à l’issue des législatives nous soyons incontournables pour la majorité ? Avoir les clés au parlement, ce doit être notre objectif essentiel. En clair, assez de députés pour qu’aucune majorité ne se fasse sans nous. A ce jour, je n’ai aucune réponse à ces trois questions mais elles me semblent essentielles. Si on les perd de vue, c’est l’UDI qu’on perd de vue.

Vous le savez bien, la politique n’est pas un système stable mais un processus permanent de transformation. L’UDI a besoin d’un visage, vous déciderez bientôt lequel. Elle a besoin d’un projet, nous le construirons ensemble. Elle a besoin d’un élan, il est ici dans cette salle. Vous l’incarnez et il ne s’arrêtera pas.

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