25.01.2024

"Combler le fossé entre ceux qui nourrissent, et ceux qui sont nourris !"

Tribune de Béatrice PRIEUR, Agricultrice et Secrétaire nationale Les Centristes en charge de l’agriculture : 

Bien que quasi-unanime, le soutien de la société au monde agricole ne cache pas l’écart fondamental qui s’est creusé entre ceux qui nourrissent et ceux qui sont nourris. 
Entre la France des villes, celle des 35 heures, et des manifestations contre l’augmentation de l’âge légal de départ à la retraite ; et celle des campagnes, des 80 heures dans des conditions de travail souvent physiques et douloureuses, pour des revenus mensuels bien en deçà de la moyenne, sans parler de la pression psychologique quotidienne.

La terre est rude : le travail de la terre te renvoie inexorablement à ta condition humaine. Travailler à la terre c’est 7jours sur 7, parfois 24 heures sur 24 lorsque tu as des vêlages : les naissances des veaux dans la nuit. C’est la traite à 6 heures debout à 5 heures, puis la seconde traite à 18 heures au rythme des animaux, ou entre temps ta journée a été plus que remplie. 

C’est l’apport de la nourriture aux bovins, aux ovins : ils s’en fichent bien les animaux qu’on soit le 1er janvier ou le 1er mai… ils n’ont pas un calendrier de salariés, ils ont besoin de soins, constants. 
Un agriculteur ne part pas en vacances, un agriculteur reste sur sa terre 24h/24 

Quel salarié accepterait cela aujourd’hui ?

 

Un fossé insupportable s’est creusé entre la société et le monde agricole

C’est bien cet écart qui conduit aujourd’hui, le monde agricole à l’expression de son désespoir. Et rien ne concourt, aujourd’hui, à combler le fossé.

Du fait de sa vulnérabilité intrinsèque aux conséquences du changement climatique, le secteur agricole doit faire face à de multiples difficultés qui s'accumulent et le fragilisent. Sécheresse, baisse des rendements, augmentation du coût des intrants, du gasoil sont autant de défis qui s’accumulent pour les agriculteurs.

Malgré cela, la société exige d’eux des efforts accrus. Les contrôles administratifs réguliers ajoutent une couche de stress. 

Il y a plus de fonctionnaires de l’Etat qui s’occupent du secteur agricole que d’Agriculteurs en France… Cela engendre des séries de contrôles… depuis mon installation en 2009 : j’ai eu environ 2 contrôles par an soit 30 contrôles de toutes sortes et de toutes les structures existantes : les Douanes venant de Mont de Marsan (200 kms aller/retour), l’ASP :  Agence de Service et de Paiement venant de Bordeaux : 400 kms aller et retour pour me demander un papier que j’aurai pu adresser par mail, contrôle de la MSA, contrôle de la DDTM… sans qu’aucune anomalie ne soit relevée. 

Alors nous percevons cette multiplication d'injonctions comme une accumulation de contraintes, auxquelles les contreparties ne sont pas à la hauteur pour soutenir un secteur déjà en crise. 

L’agriculteur, souvent isolé, endetté, ne voit plus d’issue que de se retourner contre lui-même… Et puis à ce malaise, un conglomérat de facteurs et des strates de paramètres se sont agglomérés. Deux agriculteurs se suicident par jour en France. 
D’ici à l’ouverture du Salon de l’Agriculture, fausse grand-messe à la gloire du terroir, mais vraie parenthèse inconséquente où la France des Villes fait semblant de s’intéresser aux campagnes, soixante agriculteurs auront mis fin à leurs jours. 
Ces données nous les connaissons, nous les dénonçons depuis longtemps, mais rien ne change ! 

Mais alors, pourquoi le changement de modèle agricole et celui de notre alimentation suscitent-t-ils de si importantes résistances.

 

Un monde agricole divisé

Si tout le monde s’accorde sur la nécessité de changer, les modalités de cette transformation, que ce soit en termes d'objectifs à atteindre, de trajectoire à suivre ou de moyens à déployer, ne font guère l'objet d'un consensus général.

Le monde agricole est profondément divisé. Il y a des grands patrons qui possèdent 2000 hectares, et des patrons de PME, de PE et de TPE, parfois locataire de 50 hectares. Leur réalité, leurs problèmes sont aussi différents que ceux de Bernard ARNAULT et d’un artisan plombier. 
Il n’en reste pas moins que pour la plupart, malgré un niveau de qualification en progression constante, le modèle est en panne. Les investissements à réaliser à l’installation ne sont guère plus entendables par le système bancaire dans le contexte actuel. 

La course au productivisme s’est mise en place depuis la fin de la seconde guerre, avec la modernisation technique et chimique, avec une organisation socio-économique des activités rurales, avec l’industrialisation de notre chaine alimentaire. Elle s’est aussi organisée en filières.
Des filières qui ont donné tout pouvoir à l’industrie qui impose son rythme et sa logique de croissance à l’agriculture qui s’est efforcée de s’adapter. 

 

En avons-nous encore les moyens ? 

Les rigidités structurelles, les défis climatiques, dévoilent l’absence de pérennité du système.
L’organisation socio-économique agricole, ce monde dans le monde, la Mutualité Sociale Agricole (qui n’est pas la CPAM), les mutuelles, les banques, les directions départementales, la SAFER, les syndicats. Tout cela fait-il encore sens ?
Le système coopératif, censé être un modèle mutualiste, semble aujourd'hui favoriser les géants agro-industriels aux dépens des agriculteurs eux-mêmes.
Les coopératives qui alimentent la chaine industrielle ont fait des agriculteurs participant à ce système des vassaux qui prennent tous les risques, sans rémunération à leur hauteur.  De la semence, à l’élevage, bien souvent ces coopératives imposent des marges très faibles à leurs membres.

Ce sont dons les marges qui combleront le fossé. Mais pour restaurer les marges, il faut arriver à généraliser les circuits courts. Peut-on nourrir un pays, un continent à l’échelle de l’Europe, par les circuits courts, en faisant l’impasse sur l’agriculture industrielle et ses lobbies ?

 

L’Europe, les normes, les boucs émissaires des lobbies ?

Il s’agit déjà de ne pas se tromper d’adversaire. L’Europe, décriée par les principaux lobbyiste du complexe agro-industriel expliquant le malaise paysan par le trop contraignant « pacte vert » mis en place par l’Europe, trop contraignant, semble avoir tout du bouc-émissaire idéal.

L’Europe a pourtant réussi à agir contre les crises de surproduction qui marquaient l’agriculture des années 80 et appauvrissaient les agriculteurs. Les premières mesures correctrices pour orienter les productions vers les marchés non saturés ont été les quotas laitiers institués en 1984, puis la nouvelle PAC en 1992 pour mettre fin au système avec des jachères. 
Si les gains de productivité pour les uns ont pu dégager des niveaux de capacité financière suffisante pour investir, d’autres non mécanisés n’ont pas pu augmenter la productivité du travail. De même, pour qu’il y ait aujourd’hui une rentabilité dans ce système établi, il faut des centaines et des centaines d’hectares : c’est la chasse aux terres et aux aides PAC liées à la terre. Ainsi il y a depuis les années 1990 une baisse massive d’actifs agricoles. Les régions sont désertées. 
Mais, pour la société, les conséquences les plus insupportables du productivisme sont les conséquences sur la sécurité alimentaire et environnementale.
Chacun s’inquiète aujourd’hui des résidus de pesticides dans les récoltes, d’antibiotiques dans les produits laitiers, ou dans les volailles vaccinées. On se souvient des scandales alimentaires, le bœuf aux hormones, la maladie de la vache folle, alimenté par des farines d’origine animale… 
Demain, c’est la dégradation de la ressource en eau, celle des paysages, la diminution de la biodiversité, la dégradation des sols. La mauvaise gestion des intrants, la concentration des élevages, ont à la fois pollué et surexploité nos ressources en eau, et désormais, dans les Pyrénées-Orientales comme dans le Sud-Ouest, la ressource en eau se raréfie. L’eau potable est fortement polluée. Bientôt l’irrigation ne sera plus possible. 
    
Des Propositions à l'Échelle Nationale et Européenne

Ayons le courage avec l’Europe qui souhaite plus d’environnement aussi de mettre en place un système qui repose sur les 4 E : 
 -Economie :  viabilité économique
- Environnement : préservation des ressources
- Equité : répartition de l’activité sur le territoire
- Ethique : règles à respecter dans l’exercice des métiers du vivant. 

Soutien aux Agriculteurs Locaux : Encourageons les consommateurs à privilégier les produits locaux, non seulement en France mais à l'échelle européenne, pour soutenir les agriculteurs de proximité.

Normes Environnementales Communes : Plaidons pour l'adoption de normes environnementales communes au niveau européen afin de garantir des pratiques agricoles durables dans tous les pays membres.

Innovation Agricole Collaborative : Favorisons la coopération entre les pays européens pour investir dans la recherche agricole et le développement de technologies novatrices, permettant d'améliorer la productivité tout en réduisant l'impact environnemental.

Politiques Agricoles Communes Durables : Plaidons pour des réformes politiques au niveau de l'Union Européenne, soutenant financièrement les agriculteurs engagés dans des pratiques durables et limitant l'influence des lobbys agro-industriels.

Encourager les Circuits Courts à l'Échelle Européenne : Favorisons les circuits courts à travers l'Europe pour réduire la dépendance aux grandes chaînes d'approvisionnement et promouvoir une économie plus locale et équitable.

 

Un Appel à l'Action Collective

Il est crucial que les consommateurs s'informent sur les réalités agricoles, comprennent les coûts réels de la production et fassent des choix de consommation responsables. Nous devons unir nos forces à l'échelle nationale et européenne pour exiger des réformes politiques et un changement de cap vers une agriculture plus humaine, respectueuse de l'environnement et éthique.

Le choix est politique, mais il doit également être collectif. Il est temps de prendre des mesures audacieuses pour garantir un avenir durable pour nos agriculteurs, notre environnement et notre souveraineté alimentaire !
 

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