12.10.2015

"Air France : implacable miroir d’une France bloquée" par Jean Dionis

Les images ont fait mouche et elles ont fait mal. Mal à la France et mal à Air France.

Les images de son PDG et de son DRH quittant, sous les huées et sous les coups, chemises déchirées, puis torses nus, la salle où se tenait le Comité Central d’entreprise ont claqué comme une preuve indiscutable d’un dialogue social complètement bloqué dans cette entreprise.

Comment Air France a pu en arriver là, à ce niveau de haine et de blocage ?

La direction d’Air France avait juste eu le temps de confirmer le lancement de son plan B (à savoir 2.900 suppressions de postes – 300 chez les pilotes, 900 chez les hôtesses et stewards et 1.700 chez les personnels au sol – prévues d’ici à fin 2017, dans le cadre d’une réduction de 10 % de l’offre long-courrier d’Air France, qui se traduira également par le retrait de 14 appareils long-courriers).

Mais sans plonger dans le détail d’un dossier forcément très technique, si on en est arrivé là, c’est bien parce que le Syndicat national des pilotes d’Air France avait auparavant refusé le plan A qui prévoyait de les faire travailler 100 h de plus par an à salaire équivalent.

Ces pilotes d’Air France au cœur du conflit, qui sont-ils ? Si on veut comprendre le conflit actuel et en tirer toutes les leçons pour la société française, il importe de les connaître. Ils sont aujourd’hui environ 3.800 à Air France. Un copilote débutant touche 75 000€ en brut annuel. Le salaire moyen d’un commandement de bord se situe en brut annuel entre 155 000 et 196 000 €. Ils volent entre 635 et 700 heures par an.

Ces conditions de travail, indiscutablement avantageuses, sont le fruit d’une longue histoire syndicale où les pilotes ont fait jouer leur pouvoir de nuisance considérable sur la vie de la compagnie et en même temps elles sont la contrepartie de responsabilités écrasantes en matière de sécurité et ainsi que d’un contrôle permanent de leurs aptitudes et connaissances tel que n’en connait aucune autre profession.

Après tout pourquoi pas, si l’entreprise Air France se portait bien. Or ce n’est pas le cas.

Dans un marché de transport aérien pourtant en forte croissance, Air France n’arrête pas de cumuler les pertes (4,2 Mds cumulées en 4 ans de 2011 à 2015). Car les temps changent et le monde bouge autour d’Air France : émergence de l’offre Low-Cost (Easy jet, Ryan air), transformation très rapide des compagnies généralistes (British Airways, Lufthansa,…), apparition de concurrents dans le secteur des vols haut de gamme (Compagnies du Golfe, Quatar Airways...).

Voilà pour les faits de ce blocage et de ce gâchis très français.

Quelles leçons en tirer pour ce qu’il ne faut pas faire dans la France d’aujourd’hui ?

J’en vois pour ma part deux principales :

dans une société aussi ouverte que la notre, il n’est pas possible d’ignorer les progrès de la concurrence. Il est impératif que les sociétés françaises fassent les mêmes progrès. On peut discuter des modalités de mise en œuvre des gains de productivité, pas du niveau des gains de productivité à atteindre. C’est la concurrence et le marché qui imposent le niveau des progrès à atteindre. Et c’est en cela que le refus du Plan A de la Direction d’Air France par les pilotes n’est pas acceptable sur le fond, même si bien sûr les pilotes sont légitimes à en discuter les modalités.

les 3 800 pilotes d’Air France n’ont moralement pas le droit, eux qui représentent 4 % des effectifs et 8% de la masse salariale de bloquer un accord sur la totalité de l’entreprise en l’imposant notamment au personnel au sol et au personnel naviguant commercial. Les négociations par corporation, les pilotes d’abord, les autres ensuite ont un effet ravageur.

Cette approche corporatiste est insupportable et inefficace comme vient de le démontrer «l’affaire Air France». Et si l’on a comme objectif majeur, l’adaptation permanente à ses concurrents en prix et en qualité, alors il faudra bien revenir à la notion d’intérêt général de l’entreprise et dans cette perspective l’introduction dans nos pratiques sociales du référendum d’entreprise est certainement une voie de progrès.

Air France et les 100 000 personnes qui la composent doivent d’abord avoir envie de continuer à vivre comme aventure humaine collective. Ensemble, ils doivent se rappeler que les compagnies aériennes meurent (elles aussi) et que la vie dans un monde ultra compétitif, cela se mérite.

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